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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IX.


blissements sur les Palus-Méotides et vers la mer Caspienne ne suffisaient pas à ses projets de marine, de commerce et de puissance ; la gloire même, que tout réformateur désire ardemment, n’était ni en Perse ni en Turquie ; elle était dans notre partie de l’Europe, où l’on éternise les grands talents en tout genre. Enfin Pierre ne voulait introduire dans ses États ni les mœurs turques ni les persanes, mais les nôtres.

L’Allemagne, en guerre à la fois avec la Turquie et avec la France, ayant pour ses alliées l’Espagne, l’Angleterre et la Hollande, contre le seul Louis XIV, était prête à conclure la paix, et les plénipotentiaires étaient déjà assemblés au château de Rysvick, auprès de la Haye.

Ce fut dans ces circonstances que Pierre et son ambassade prirent leur route, au mois d’avril 1697, par la grande Novogorod. De là on voyagea par l’Estonie et par la Livonie. provinces autrefois contestées entre les Russes, les Suédois et les Polonais, et acquises enfin à la Suède par la force des armes,

La fertilité de la Livonie, la situation de Riga sa capitale, pouvaient tenter le czar ; il eut du moins la curiosité de voir les fortifications des citadelles. Le comte d’Albert, gouverneur de Riga, en prit de l’ombrage ; il lui refusa cette satisfaction, et parut témoigner peu d’égards pour l’ambassade. Cette conduite ne servit pas à refroidir dans le cœur du czar le désir qu’il pouvait concevoir d’être un jour le maître de ces provinces[1].

De la Livonie on alla dans la Prusse brandebourgeoise, dont une partie a été habitée par les anciens Vandales : la Prusse polonaise avait été comprise dans la Sarmatie d’Europe ; la brandebourgeoise était un pays pauvre, mal peuplé, mais où l’électeur, qui se fit donner depuis le titre de roi, étalait une magnificence nouvelle et ruineuse. Il se piqua de recevoir l’ambassade dans sa ville de Kœnisberg avec un faste royal. On se fit de part et d’autre les présents les plus magnifiques. Le contraste de la parure française, que la cour de Berlin affectait, avec les longues robes asiatiques des Russes, leurs bonnets rehaussés de perles et de pierreries, leurs cimeterres pendants à la ceinture, fit un effet singulier. Le czar était vêtu à l’allemande. Un prince de Géorgie[2] qui était avec lui, vêtu à la mode des Persans, étalait une autre

  1. Voltaire passe sous silence quelques détails. Le czar, craignant pour ses jours, se jeta dans une barque pour gagner la Courlande, au risque d’être englouti par le choc des glaçons que charriait la Duina.
  2. Voyez page 176 du présent volume.