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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XI.


rod[1], amenant avec lui son favori Menzikoff, alors lieutenant dans la compagnie des bombardiers du régiment Préobazinski, devenu depuis feld-maréchal et prince, homme dont la singulière fortune mérite qu’on en parle ailleurs[2] avec plus d’étendue.

Pierre laissa son armée et ses instructions pour le siége au prince de Croï, originaire de Flandre, qui depuis peu était passé à son service[3]. Le prince Dolgorouki fut le commissaire de l’armée. La jalousie entre ces deux chefs et l’absence du czar furent en partie cause de la défaite inouïe de Narva, Charles XII ayant débarqué à Pernaw en Livonie avec ses troupes, au mois d’octobre, s’avance au nord à Pievel, défait dans ces quartiers un corps avancé de Russes. Il marche et en bat encore un autre. Les fuyards retournent au camp devant Narva, et y portent l’épouvante. Cependant on était déjà au mois de novembre. Narva, quoique mal assiégée, était prête de se rendre. Le jeune roi de Suède n’avait pas alors avec lui neuf mille hommes, et ne pouvait opposer que dix pièces d’artillerie à cent quarante-cinq canons dont les retranchements des Russes étaient bordés. Toutes les relations de ce temps-là, tous les historiens sans exception, font monter l’armée russe devant Narva à quatre-vingt mille combattants. Les Mémoires qu’on m’a fait tenir disent soixante, d’autres quarante mille : quoi qu’il en soit, il est certain que Charles n’en avait pas neuf mille, et que cette journée est une de celles qui prouvent que les grandes victoires ont souvent été remportées par le plus petit nombre depuis la bataille d’Arbelles.

Charles ne balança pas à attaquer avec sa petite troupe cette armée si supérieure ; et, profitant d’un vent violent et d’une grosse neige que ce vent portait contre les Russes, il fondit dans leurs retranchements[4] à l’aide de quelques pièces de canon avantageusement postées. Les Russes n’eurent pas le temps de se reconnaître au milieu de ce nuage de neige qui leur donnait au visage, foudroyés par les canons qu’ils ne voyaient pas, et n’imaginant point quel petit nombre ils avaient à combattre.

Le duc de Croï voulut donner des ordres, et le prince Dolgorouki ne voulut pas les recevoir. Les officiers russes se soulèvent

  1. 18 novembre 1700. (Note de Voltaire.)
  2. Cette phrase donne à penser que Voltaire avait l’intention de consacrer à Menzikoff un article de quelque étendue ; c’est ce qu’il n’a point fait. Il avait, dans son Histoire de Charles XII (voyez dans ce volume, page 277), parlé des vicissitudes de la fortune de ce personnage. (B.)
  3. Voyez l’Histoire de Charles XII. (Note de Voltaire.) — Pages 172 et suiv.
  4. 30 novembre. (Id.)