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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XIX.


du triomphe qu’il étala dans cette capitale ; il ordonna toute la fête, travailla lui-même, disposa tout.

L’année 1710 commença[1] par cette solennité nécessaire alors à ses peuples, auxquels elle inspirait des sentiments de grandeur, et agréable à ceux qui avaient craint de voir entrer en vainqueurs dans leurs murs ceux dont on triomphait : on vit passer sous sept arcs magnifiques l’artillerie des vaincus, leurs drapeaux, leurs étendards, le brancard de leur roi, les soldats, les officiers, les généraux, les ministres prisonniers, tous à pied, au bruit des cloches, des trompettes, de cent pièces de canon, et des acclamations d’un peuple innombrable, qui se faisaient entendre quand les canons se taisaient. Les vainqueurs à cheval fermaient la marche, les généraux à la tête, et Pierre à son rang de général-major. À chaque arc de triomphe on trouvait des députés des différents ordres de l’État, et au dernier une troupe choisie de jeunes enfants de boïards vêtus à la romaine, qui présentaient des lauriers au monarque victorieux.

À cette fête publique succéda une cérémonie non moins satisfaisante. Il était arrivé, en 1708, une aventure d’autant plus désagréable que Pierre était alors malheureux. Matéof, son ambassadeur à Londres auprès de la reine Anne, ayant pris congé, fut arrêté avec violence par deux officiers de justice, au nom de quelques marchands anglais, et conduit chez un juge de paix pour la sûreté de leurs créances. Les marchands anglais prétendaient que les lois du commerce devaient l’emporter sur les priviléges des ministres : l’ambassadeur du czar et tous les ministres publics qui se joignirent à lui disaient que leur personne doit être toujours inviolable. Le czar demanda fortement justice par ses lettres à la reine Anne ; mais elle ne pouvait la lui faire, parce que les lois d’Angleterre permettaient aux marchands de poursuivre leurs débiteurs, et qu’aucune loi n’exemptait les ministres publics de cette poursuite. Le meurtre de Palkul, ambassadeur du czar, exécuté l’année précédente par les ordres de Charles XII, enhardissait le peuple d’Angleterre à ne pas respecter un caractère si cruellement profané ; les autres ministres qui étaient alors à Londres furent obligés de répondre pour celui du czar, et enfin, tout ce que put faire la reine en sa faveur, ce fut d’engager le parlement à passer un acte par lequel dorénavant il ne serait plus permis de faire arrêter un ambassadeur pour ses dettes ; mais, après la bataille de Pultava, il fallut faire une satisfaction plus authentique. La reine lui fit

  1. 1er janvier (Note de Voltaire.)