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SECONDE PARTIE.[1]

CHAPITRE I.
CAMPAGNE DU PRUTH.

Le sultan Achmet III déclara la guerre à Pierre Ier ; mais ce n’était pas pour le roi de Suède ; c’était, comme on le croit bien, pour ses seuls intérêts. Le kan des Tartares de Crimée voyait avec crainte un voisin devenu si puissant. La Porte avait pris ombrage de ses vaisseaux sur les Palus-Méotides et sur la mer Noire, de la ville d’Azof fortifiée, du port de Taganrock, déjà célèbre, enfin de tant de grands succès, et de l’ambition, que les succès augmentent toujours.

Il n’est ni vraisemblable ni vrai que la Porte-Ottomane ait fait la guerre au czar vers les Palus-Méotides parce qu’un vaisseau suédois avait pris sur la mer Baltique une barque dans laquelle on avait trouvé une lettre d’un ministre qu’on n’a jamais nommé. Nordberg a écrit que cette lettre contenait un plan de la conquête de l’empire turc ; que la lettre fut portée à Charles XII, en Turquie ; que Charles l’envoya au divan, et que, sur cette lettre, la guerre fut déclarée. Cette fable porte assez avec elle son caractère de fable. Le kan des Tartares, plus inquiet encore que le divan de Constantinople du voisinage d’Azof, fut celui qui, par ses instances, obtint qu’on entrerait en campagne[2].

  1. Voyez l’Avertissement de Beuchot.
  2. Ce que rapporte Nordberg sur les prétentions du Grand Seigneur n’est ni moins faux ni moins puéril : il dit que le sultan Achmet envoya au czar les conditions auxquelles il accorderait la paix avant d’avoir commencé la guerre. Ces conditions étaient, selon le confesseur de Charles XII, de renoncer à son alliance avec le roi Auguste, de rétablir Stanislas, de rendre la Livonie à Charles, de payer à ce prince, argent comptant, ce qu’il lui avait pris à Pultava, et de démolir Pétersbourg. Cette pièce fut forgée par un nommé Brazey, auteur famélique d’une feuille intitulée Mémoires satiriques, historiques et amusants. Nordberg puisa dans cette