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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE I.


point rédigés comme le voyageur La Motraye le rapporte, et comme Nordberg le copie d’après lui. Le vizir, parmi les conditions qu’il exigeait, voulait d’abord que le czar s’engageât à ne plus entrer dans les intérêts de la Pologne, et c’est sur quoi Poniatowski insistait ; mais il était, au fond, convenable à l’empire turc que la Pologne restât désunie et impuissante : ainsi cet article se réduisit à retirer les troupes russes des frontières. Le kan des Tartares demandait un tribut de quarante mille sequins : ce point fut longtemps débattu, et ne passa point.

Le vizir demanda longtemps qu’on lui livrât Cantemir, comme le roi de Suède s’était fait livrer Patkul. Cantemir se trouvait précisément dans le même cas où avait été Mazeppa. Le czar avait fait à Mazeppa son procès criminel, et l’avait fait exécuter en effigie. Les Turcs n’en usèrent point ainsi ; ils ne connaissent ni les procès par contumace, ni les sentences publiques. Ces condamnations affichées et les exécutions en effigie sont d’autant moins en usage chez eux, que leur loi leur défend les représentations humaines, de quelque genre qu’elles puissent être. Ils insistèrent en vain sur l’extradition de Cantemir. Pierre écrivit ces propres paroles au vice-chancelier Schaffirof :

« J’abandonnerai plutôt aux Turcs tout le terrain qui s’étend jusqu’à Cursk : il me restera l’espérance de le recouvrer ; mais la perte de ma foi est irréparable, je ne peux la violer. Nous n’avons de propre que l’honneur : y renoncer, c’est cesser d’être monarque. »

Enfin le traité fut conclu et signé près du village nommé Falksen, sur les bords du Pruth. On convint dans le traité qu’Azof et son territoire seraient rendus avec les munitions et l’artillerie dont il était pourvu avant que le czar l’eût pris, en 1696 ; que le port de Taganrock, sur la mer de Zabache, serait démoli, ainsi que celui de Samara, sur la rivière de ce nom, et d’autres petites citadelles. On ajouta enfin un article touchant le roi de Suède, et cet article même faisait assez voir combien le vizir était mécontent de lui. Il fut stipulé que ce prince ne serait point inquiété par le czar s’il retournait dans ses États, et que d’ailleurs le czar et lui pouvaient faire la paix s’ils en avaient envie.

Il est bien évident, par la rédaction singulière de cet article, que Baltagi Mehemet se souvenait des hauteurs de Charles XII. Qui sait même si ces hauteurs n’avaient pas incliné Mehemet du côté de la paix ? La perte du czar était la grandeur de Charles, et il n’est pas dans le cœur humain de rendre puissants ceux qui nous méprisent. Enfin ce prince, qui n’avait pas voulu venir à l’armée du vizir quand il avait besoin de le ménager, accourut