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MARIAGE DU CZAROVITZ.


Pologne, et délivrât la Turquie d’un voisinage si dangereux ; elle souhaitait que Charles retournât dans ses États, afin que les princes chrétiens fussent continuellement divisés, mais jamais elle n’eut l’intention de lui fournir une armée. Les Tartares désiraient toujours la guerre, comme les artisans veulent exercer leurs professions lucratives. Les janissaires la souhaitaient, mais plus par haine contre les chrétiens, par fierté, par amour pour la licence, que par d’autres motifs. Cependant les négociations des ministres anglais et hollandais prévalurent contre le parti opposé. La paix du Pruth fut confirmée ; mais on ajouta dans le nouveau traité que le czar retirerait dans trois mois toutes ses troupes de la Pologne, et que l’empereur turc renverrait incessamment Charles XII.

On peut juger, par ce nouveau traité, si le roi de Suède avait à la Porte autant de pouvoir qu’on l’a dit. Il était évidemment sacrifié par le nouveau vizir Jussuf Bacha, ainsi que par Baltagi Mehemet. Ses historiens n’ont eu d’autre ressource, pour couvrir ce nouvel affront, que d’accuser Jussuf d’avoir été corrompu, ainsi que son prédécesseur. De pareilles imputations tant de fois renouvelées sans preuve sont bien plutôt les cris d’une cabale impuissante que les témoignages de l’histoire. L’esprit de parti, obligé d’avouer les faits, en altère les circonstances et les motifs ; et malheureusement c’est ainsi que toutes les histoires contemporaines parviennent falsifiées à la postérité, qui ne peut plus guère démêler la vérité du mensonge.


CHAPITRE III.

MARIAGE DU CZAROVITZ, ET DÉCLARATION SOLENNELLE DU MARIAGE
DE PIERRE AVEC CATHERINE, QUI RECONNAÎT SON FRÈRE.

Cette malheureuse campagne du Pruth fut plus funeste au czar que ne l’avait été la bataille de Narva : car, après Narva, il avait su tirer parti de sa défaite même, réparer toutes ses pertes, et enlever l’Ingrie à Charles XII ; mais après avoir perdu, par le traité de Falksen avec le sultan, ses ports et ses forteresses sur les Palus-Méotides, il fallut renoncer à l’empire sur la mer Noire. Il