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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE VIII.


puisque Görtz lui proposa de raccompagner dans ses voyages, et que, tout jeune qu’il était alors, il fut un des premiers témoins d’une grande partie de ces intrigues[1].

Görtz était revenu en Hollande à la fin de 1716, muni des lettres de change d’Albéroni et du plein pouvoir de Charles. Il est très-certain que le parti du prétendant devait éclater, tandis que Charles descendrait de la Norvége dans le nord d’Écosse. Ce prince, qui n’avait pu conserver ses États dans le continent, allait envahir et bouleverser ceux d’un autre ; et de la prison de Démirtash, en Turquie, et des cendres de Stralsund, on eût pu le voir couronner le fils de Jacques II à Londres, comme il avait couronné Stanislas à Varsovie.

Le czar, qui savait une partie des entreprises de Görtz, en attendait le développement, sans entrer dans aucun de ses plans et sans les connaître tous : il aimait le grand et l’extraordinaire autant que Charles XII, Görtz et Albéroni ; mais il l’aimait en fondateur d’un État, en législateur, en vrai politique ; et peut-être Albéroni, Görtz, et Charles même, étaient-ils plutôt des hommes inquiets qui tentaient de grandes aventures que des hommes profonds qui prissent des mesures justes ; peut-être, après tout, leurs mauvais succès les ont-ils fait accuser de témérité.

Quand Görtz fut à la Haye, le czar ne le vit point ; il aurait donné trop d’ombrage aux États-Généraux, ses amis, attachés au roi d’Angleterre. Ses ministres ne virent Görtz qu’en secret, avec les plus grandes précautions, avec ordre d’écouter tout et de donner des espérances, sans prendre aucun engagement, et sans le compromettre. Cependant les clairvoyants s’apercevaient bien, à son inaction pendant qu’il eût pu descendre en Scanie avec sa flotte et celle de Danemark, à son refroidissement envers ses alliés, aux plaintes qui échappaient à leurs cours, et enfin à son voyage même, qu’il y avait dans les affaires un grand changement qui ne tarderait pas à éclater.

Au mois de janvier 1717, un paquebot suédois, qui portait des lettres en Hollande, ayant été forcé par la tempête de relâcher en Norvége, les lettres furent prises. On trouva dans celles de Görtz et de quelques ministres de quoi ouvrir les yeux sur la révolution qui se tramait. La cour de Danemark communiqua les lettres à celle d’Angleterre. Aussitôt on fait arrêter à Londres

  1. Voltaire connut le baron de Görtz au château de Châtillon, près Paris, où habitait le banquier Hoguière. Il s’explique ici plus complètement sur les intrigues suédoises que dans l’Histoire de Charles XII.