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RETOUR DU CZAR DANS SES ÉTATS.


le Grand. Le pape Léon IX et ses successeurs n’avaient pu en venir à bout avec des légats, des conciles, et même de l’argent. Ces docteurs auraient dû savoir que Pierre le Grand, qui gouvernait son Église, n’était pas homme à reconnaître le pape ; en vain ils parlèrent dans leur mémoire des libertés de l’Église gallicane, dont le czar ne se souciait guère ; en vain ils dirent que les papes doivent être soumis aux conciles, et que le jugement d’un pape n’est point une règle de foi : ils ne réussirent qu’à déplaire beaucoup à la cour de Rome par leur écrit, sans plaire à l’empereur de Russie ni à l’Église russe.

Il y avait dans ce plan de réunion des objets de politique qu’ils n’entendaient pas, et des points de controverse qu’ils disaient entendre, et que chaque parti explique comme il lui plaît. Il s’agissait du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils selon les Latins, et qui procède aujourd’hui du Père par le Fils selon les Grecs, après n’avoir longtemps procédé que du Père : ils citaient saint Épiphane, qui dit que « le Saint-Esprit n’est pas frère du Fils, ni petit-fils du Père ».

Mais le czar, en partant de Paris, avait d’autres affaires qu’à vérifier des passages de saint Épiphane. Il reçut avec bonté le mémoire des docteurs. Ils écrivirent à quelques évêques russes, qui firent une réponse polie ; mais le plus grand nombre fut indigné de la proposition.

Ce fut pour dissiper les craintes de cette réunion qu’il institua, quelque temps après, la fête comique du conclave, lorsqu’il eut chassé les jésuites de ses États, en 1718.

Il y avait à sa cour un vieux fou, nommé Sotof, qui lui avait appris à écrire, et qui s’imaginait avoir mérité par ce service les plus importantes dignités. Pierre, qui adoucissait quelquefois les chagrins du gouvernement par des plaisanteries convenables à un peuple non encore entièrement réformé par lui, promit à son maître à écrire de lui donner une des premières dignités du monde ; il le créa knès papa avec deux mille roubles d’appointement, et lui assigna une maison à Pétersbourg dans le quartier des Tartares ; des bouffons l’installèrent en cérémonie ; il fut harangué par quatre bègues ; il créa des cardinaux, et marcha en procession à leur tête. Tout ce sacré collége était ivre d’eau-de-vie. Après la mort de ce Sotof, un officier, nommé Buturlin, fut créé pape. Moscou et Pétersbourg ont vu trois fois renouveler cette cérémonie, dont le ridicule semblait être sans conséquence, mais qui en effet confirmait les peuples dans leur aversion pour une église qui prétendait un pouvoir suprême, et dont le chef avait anathéma-