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CHAPITRE LVI.

Par un cinquième arrêt, quand le cardinal revint dans le royaume, à la tête d’une petite armée, pour se joindre aux troupes du roi, il envoya deux conseillers[1] pour informer contre cette armée : l’un d’eux, qui était ce même Bitaut, fut pris, et renvoyé sans rançon avec indulgence.

L’avocat général Talon dit alors au coadjuteur dans le parlement : Nous ne savons ce que nous faisons ; mais les princes, les généraux, les chefs de parti, les ministres, ne le savaient pas davantage.

Ce n’était pas seulement une guerre civile, c’étaient cent petites guerres civiles qui changeaient chaque jour d’objet et d’intérêt à la cour, dans Paris, dans les provinces, partout où l’incendie était allumé. Les princes, les chefs, les ministres, les femmes, tous faisaient des traités et les rompaient. Le jeune roi erra en fugitif au milieu de son royaume. Le prince de Condé, qui avait été le soutien de la France, en devint le fléau ; et Turenne, après avoir trahi la cour, en fut le libérateur.

Enfin la cause du roi prévalut ; la reine mère ramena son fils victorieux à Paris[2]. Ce même peuple qui avait accablé d’outrages la famille royale signala son inconstance ordinaire en tournant ses emportements contre le parlement. On chantait au Louvre, au Palais-Royal, au Luxembourg, dans la cour du Palais, dans les places, dans les églises, cette chanson si longtemps fameuse, quoique très mauvaise :

Messieurs de la noire cour,
Rendez grâces à la guerre ;
Vous commandiez à la terre,
Vous dansiez au Luxembourg ;
Petites gens de chicane,
            Canne
Tombera sur vous ;
Et l’on verra madame Anne
Vous faire rouer de coups.

Cette chanson ridicule montre l’esprit du temps auquel les plus grandes affaires avaient été traitées au cabaret et en vaudevilles.

Le roi ramena le cardinal Mazarin[3] ; tout fut tranquille dans Paris, et les séditieux furent punis.

  1. Janvier 1652. (Note de Voltaire.)
  2. 21 octobre 1652. (Id.) — Dans les éditions données par l’auteur, cette date était placée au dernier alinéa de ce chapitre. La transposition a été faite par M. Renouard, en 1819. (B.)
  3. Voyez la note qui précède.