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CONDAMNATION D’ALEXIS PÉTROVITZ.


à Pierre, son époux, ce conte se détruit lui-même par le seul récit de l’aventure du page et des tablettes. Un homme s’avise-t-il d’écrire sur ses tablettes : « Il faut que je me ressouvienne de faire enfermer ma femme ? » Sont-ce là de ces détails qu’on puisse oublier, et dont on soit obligé de tenir registre ? Si Catherine avait empoisonné son beau-fils et son mari, elle eût fait d’autres crimes : non-seulement on ne lui a jamais reproché aucune cruauté, mais elle ne fut connue que par sa douceur et par son indulgence.

Il est nécessaire à présent de faire voir ce qui fut la première cause de la conduite d’Alexis, de son évasion, de sa mort, et de celle des complices qui périront par la main du bourreau. Ce fut l’abus de la religion, ce furent des prêtres et des moines ; et cette source de tant de malheurs est assez indiquée dans quelques aveux d’Alexis que nous avons rapportés, et surtout dans cette expression du czar Pierre, dans une lettre à son fils : « Ces longues barbes pourront vous tourner à leur fantaisie[1]. »

Voici presque mot à mot comment les Mémoires d’un ambassadeur à Pétersbourg expliquent ces paroles : « Plusieurs ecclésiastiques, dit-il, attachés à leur ancienne barbarie, et plus encore à leur autorité, qu’ils perdaient à mesure que la nation s’éclairait, languissaient après le règne d’Alexis, qui leur promettait de les replonger dans cette barbarie si chère. De ce nombre était Dozithée, évêque de Rostou. Il supposa une révélation de saint Demetrius. Ce saint lui était apparu, et l’avait assuré, de la part de Dieu, que Pierre n’avait pas trois mois à vivre ; qu’Eudoxie, renfermée dans le couvent de Susdal, et religieuse sous le nom d’Hélène, ainsi que la princesse Marie, sœur du czar, devaient monter sur le trône, et régner conjointement avec son fils Alexis. Eudoxie et Marie eurent la faiblesse de croire cette imposture ; elles en furent si persuadées qu’Hélène quitta, dans son couvent, l’habit de religieuse, reprit le nom d’Eudoxie, se fit traiter de majesté, et fit effacer des prières publiques le nom de sa rivale Catherine ; elle ne parut plus que revêtue des anciens habits de cérémonie que portaient les czarines. La trésorière du couvent se déclara contre cette entreprise. Eudoxie répondit hautement : Pierre a puni les strélitz, qui avaient outragé sa mère ; mon fils Alexis punira quiconque aura insulté la sienne. Elle fit renfermer la tréso-

  1. Ces longues barbes pouvaient signifier également ceux des Russes qui, malgré la loi tyrannique et ridicule du czar, n’avaient pas voulu se faire raser ; mais il est certain que les prêtres entrèrent pour beaucoup dans les dissensions de la famille du czar. (K.)