Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
598
SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XII.


l’un possède réciproquement ce qui manque à l’autre, paraissaient être tous deux dans l’heureuse nécessité de lier une correspondance utile, surtout depuis la paix jurée solennellement entre l’empire russe et l’empire chinois, en l’an 1689 selon notre manière de compter.

Les premiers fondements de ce commerce avaient été jetés dès l’année 1653. Il se forma dans Tobolsk des compagnies de Sibériens et de familles de Bukarie établies en Sibérie. Ces caravanes passèrent par les plaines des Calmoucks, traversèrent ensuite les déserts jusqu’à la Tartarie chinoise, et firent des profits considérables ; mais les troubles survenus dans le pays des Calmoucks, et les querelles des Russes et des Chinois pour les frontières, dérangèrent ces entreprises.

Après la paix de 1689, il était naturel que les deux nations convinssent d’un lieu neutre, où les marchandises seraient portées. Les Sibériens, ainsi que tous les autres peuples, avaient plus besoin des Chinois que les Chinois n’en avaient d’eux : ainsi on demanda la permission à l’empereur de la Chine d’envoyer des caravanes à Pékin, et on l’obtint aisément au commencement du siècle où nous sommes.

Il est très-remarquable que l’empereur Kang-hi avait permis qu’il y eût déjà dans un faubourg de Pékin une église russe desservie par quelques prêtres de Sibérie, aux dépens mêmes du trésor impérial. Kang-hi avait eu l’indulgence de bâtir cette église en faveur de plusieurs familles de la Sibérie orientale, dont les unes avaient été faites prisonnières avant la paix de 1689, et les autres étaient des transfuges. Aucune d’elles, après la paix de Nipchou, n’avait voulu retourner dans sa patrie : le climat de Pékin, la douceur des mœurs chinoises, la facilité de se procurer une vie commode par un peu de travail, les avaient toutes fixées à la Chine. Leur petite église grecque n’était point dangereuse au repos de l’empire, comme l’ont été les établissements des jésuites. L’empereur Kang-hi favorisait d’ailleurs la liberté de conscience : cette tolérance fut établie de tout temps dans toute l’Asie, ainsi qu’elle le fut autrefois dans la terre entière jusqu’au temps de l’empereur romain Théodose Ier. Ces familles russes, s’étant mêlées depuis aux familles chinoises, ont abandonné leur christianisme ; mais leur église subsiste encore.

Il fut établi que les caravanes de Sibérie jouiraient toujours de cette église, quand elles viendraient apporter des fourrures, et d’autres objets de commerce à Pékin : le voyage, le séjour, et le retour, se faisaient en trois années. Le prince Gagarin, gouverneur