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DU PARLEMENT AU TEMPS DU CARDINAL FLEURY.


mais qui songeait déjà à se procurer un chapeau de cardinal, crut le mériter par une lettre violente contre le parlement. Ce tribunal allait la faire brûler selon l’usage ; mais on le prévint en la supprimant par un arrêt du conseil.

Ces petites dissensions pour des choses que le reste de l’Europe méprisait augmentaient tous les jours entre le parlement et les évêques. L’archevêque de Paris Vintimille, successeur de Noailles, avait fait une instruction pastorale violente contre les avocats ; le parlement de Paris la condamna.

Le cardinal Fleury fit casser l’arrêt du parlement par le conseil du roi. Les avocats cessèrent de plaider, comme le parlement avait quelquefois cessé de rendre la justice. Ils semblaient plus en droit que le parlement de suspendre leurs fonctions ; car les juges font serment de siéger, et les avocats n’en font point de plaider. Le ministre en exila onze. Le roi défendit au parlement de se mêler de cette affaire[1]. Il fallait bien pourtant qu’il s’en mêlât, puisque sans avocats il était difficile de rendre la justice. Il se dédommagea alors en donnant un arrêt contre la bulle du pape qui avait condamné la Vie du bienheureux saint Pâris[2], et contre d’autres bulles qui flétrissaient l’évêque de Montpellier, Colbert, ennemi déclaré de cette malheureuse constitution Unigenitus, source de tant de troubles.

Le parlement crut qu’il pourrait toucher le roi s’il lui parlait dans l’absence du cardinal Fleury, Il sut que ce ministre était à une petite maison de campagne qu’il avait au village d’Issy, Des députés prirent ce temps pour aller à la cour[3]. Le roi ne voulut point les voir ; ils insistèrent, on les fit retirer. Ils rencontrèrent dans les avenues le cardinal, qui revenait d’Issy, L’abbé Pucelle[4], très-célèbre en ce temps-là, et qui était un des députés, lui dit que le parlement n’avait jamais été si maltraité. Le cardinal soutint l’autorité du conseil, et crut se tirer d’affaire en avouant qu’il y avait quelque chose à reprendre dans la forme. L’abbé Pucelle répliqua que la forme ne valait pas mieux que le fond. On se sépara aigri de part et d’autre.

La cour, embarrassée, rappela les onze avocats de leur exil, afin que la justice ne fût point interrompue ; mais le cardinal persista à empêcher le roi de recevoir les députations du parlement.

  1. 28 septembre 1731. (Note de Voltaire.)
  2. La condamnation à Rome de la Vie de M. Pâris, diacre, est du 22 auguste 1731. (B.)
  3. 29 novembre 1731. (Note de Voltaire.)
  4. Voyez, dans le tome IX, une des notes du deuxième Discours sur l’homme.