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ALCORAN, OU LE KORAN.

vers. Il n’y a point de poëte dont la personne et l’ouvrage aient fait une telle fortune. On agita chez les musulmans si l’Alcoran était éternel, ou si Dieu l’avait créé pour le dicter à Mahomet. Les docteurs décidèrent qu’il était éternel ; ils avaient raison, cette éternité est bien plus belle que l’autre opinion. Il faut toujours avec le vulgaire prendre le parti le plus incroyable.

Les moines qui se sont déchaînés contre Mahomet, et qui ont dit tant de sottises sur son compte, ont prétendu qu’il ne savait pas écrire. Mais comment imaginer qu’un homme qui avait été négociant, poëte, législateur et souverain, ne sût pas signer son nom ? Si son livre est mauvais pour notre temps et pour nous, il était fort bon pour ses contemporains, et sa religion encore meilleure. Il faut avouer qu’il retira presque toute l’Asie de l’idolâtrie. Il enseigna l’unité de Dieu ; il déclamait avec force contre ceux qui lui donnent des associés. Chez lui l’usure avec les étrangers est défendue, l’aumône ordonnée. La prière est d’une nécessité absolue ; la résignation aux décrets éternels est le grand mobile de tout. Il était bien difficile qu’une religion si simple et si sage, enseignée par un homme toujours victorieux, ne subjuguât pas une partie de la terre. En effet les musulmans ont fait autant de prosélytes par la parole que par l’épée. Ils ont converti à leur religion les Indiens et jusqu’aux Nègres. Les Turcs même leurs vainqueurs se sont soumis à l’islamisme.

Mahomet laissa dans sa loi beaucoup de choses qu’il trouva établies chez les Arabes : la circoncision, le jeûne, le voyage de la Mecque qui était en usage quatre mille ans avant lui, des ablutions si nécessaires à la santé et à la propreté dans un pays brûlant où le linge était inconnu ; enfin l’idée d’un jugement dernier, que les mages avaient toujours établie, et qui était parvenue jusqu’aux Arabes. Il est dit que comme il annonçait qu’on ressusciterait tout nu, Aishca sa femme trouva la chose immodeste et dangereuse : « Allez, ma bonne, lui dit-il, on n’aura pas alors envie de rire. » Un ange, selon le Koran, doit peser les hommes et les femmes dans une grande balance. Cette idée est encore prise des mages. Il leur a volé aussi leur pont aigu, sur lequel il faut passer après la mort, et leur jannat, où les élus musulmans trouveront des bains, des appartements bien meublés, de bons lits, et des houris avec de grands yeux noirs. Il est vrai aussi qu’il dit que tous ces plaisirs des sens, si nécessaires à tous ceux qui ressusciteront avec des sens, n’approcheront pas du plaisir de la contemplation de l’Être suprême. Il a l’humilité d’avouer dans son Koran que lui-même n’ira point en paradis par son propre