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ALEXANDRE.

Chine, à l’empereur du Japon. Les colaos de la Chine d’un ordre inférieur fléchissent les genoux devant les colaos d’un ordre supérieur ; on adore le pape, on lui baise le pied droit. Aucune de ces cérémonies n’a jamais été regardée comme une adoration dans le sens rigoureux, comme un culte de latrie.

Ainsi tout ce qu’on a dit de la prétendue adoration qu’exigeait Alexandre n’est fondé que sur une équivoque[1].

C’est Octave, surnommé Auguste, qui se fit réellement adorer, dans le sens le plus étroit. On lui éleva des temples et des autels ; il y eut des prêtres d’Auguste. Horace lui dit positivement (lib. II, epist. I, vers. 16) :


Jurandasque tuum per nomen ponimus aras.


Voilà un véritable sacrilège d’adoration ; et il n’est point dit qu’on en murmura[2].

Les contradictions sur le caractère d’Alexandre paraîtraient plus difficiles à concilier si on ne savait que les hommes, et surtout ceux qu’on appelle héros, sont souvent très différents d’eux-mêmes ; et que la vie et la mort des meilleurs citoyens, le sort d’une province, ont dépendu plus d’une fois de la bonne ou de la mauvaise digestion d’un souverain, bien ou mal conseillé.

Mais comment concilier des faits improbables rapportés d’une manière contradictoire ? Les uns disent que Callisthène fut exécuté à mort et mis en croix par ordre d’Alexandre, pour n’avoir pas voulu le reconnaître en qualité de fils de Jupiter. Mais la croix n’était point un supplice en usage chez les Grecs. D’autres disent qu’il mourut longtemps après, de trop d’embonpoint. Athénée prétend qu’on le portait dans une cage de fer comme un oiseau, et qu’il y fut mangé de vermine. Démêlez dans tous ces récits la vérité, si vous pouvez.

Il y a des aventures que Quinte-Curce suppose être arrivées dans une ville, et Plutarque dans une autre ; et ces deux villes se trouvent éloignées de cinq cents lieues. Alexandre saute tout armé et tout seul du haut d’une muraille dans une ville qu’il assiégeait ; elle était auprès du Candahar selon Quinte-Curce, et près de l’embouchure de l’Indus suivant Plutarque.

  1. Voyez Abus des mots. (Note de Voltaire.)
  2. Remarquez bien qu’Auguste n’était point adoré d’un culte de latrie, mais de dulie. C’était un saint : divus Augustus. Les provinciaux l’adoraient comme Priape, non comme Jupiter. (K.)