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ALMANACH.


ALMANACH[1].


Il est peu important de savoir si almanach vient des anciens Saxons, qui ne savaient pas lire, ou des Arabes, qui étaient en effet astronomes, et qui connaissaient un peu le cours des astres, tandis que les peuples d’Occident étaient plongés dans une ignorance égale à leur barbarie. Je me borne ici à une petite observation.

Qu’un philosophe indien embarqué à Méliapour vienne à Bayonne : je suppose que ce philosophe a du bon sens, ce qui est rare, dit-on, chez les savants de l’Inde ; je suppose qu’il est défait des préjugés de l’école, ce qui était rare partout il y a quelques années, et qu’il ne croit point aux influences des astres ; je suppose qu’il rencontre un sot dans nos climats, ce qui ne serait pas si rare.

Notre sot, pour le mettre au fait de nos arts et de nos sciences, lui fait présent d’un Almanach de Liège, composé par Matthieu Laensberg, et du Messager boiteux d’Antoine Souci, astrologue et historien, imprimé tous les ans à Basle, et dont il se débite vingt mille exemplaires en huit jours. Vous y voyez une belle figure d’homme entourée des signes du zodiaque, avec des indications certaines qui vous démontrent que la balance préside aux fesses, le bélier à la tête, les poissons aux pieds, ainsi du reste.

Chaque jour de la lune vous enseigne quand il faut prendre du baume de vie du sieur Le Lièvre, ou des pilules du sieur Keyser, ou vous pendre au cou un sachet de l’apothicaire Arnoult, vous faire saigner, vous faire couper les ongles, sevrer vos enfants, planter, semer, aller en voyage, ou chausser des souliers neufs. L’Indien, en écoutant ces leçons, fera bien de dire à son conducteur qu’il ne prendra pas de ses almanachs.

Pour peu que l’imbécile qui dirige notre Indien lui fasse voir quelques-unes de nos cérémonies réprouvées de tous les sages, et tolérées en faveur de la populace par mépris pour elle, le voyageur qui verra ces momeries, suivies d’une danse de tambourin, ne manquera pas d’avoir pitié de nous : il nous prendra pour des fous qui sont assez plaisants et qui ne sont pas absolument cruels. Il mandera au président du grand collège de Bénarès

  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)