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ÂME.

qu’elle était créée ont laissé les autres en repos. Pythagore avait été coq, ses parents cochons, personne n’y trouva à redire ; sa secte fut chérie et révérée de tout le monde, excepté des rôtisseurs et de ceux qui avaient des fèves à vendre.

« Les stoïciens reconnaissaient un Dieu, à peu près tel que celui qui a été si témérairement admis depuis par les spinosistes ; le stoïcisme cependant fut la secte la plus féconde en vertus héroïques et la plus accréditée.

« Les épicuriens faisaient leurs dieux ressemblants à nos chanoines, dont l’indolent embonpoint soutient leur divinité, et qui prennent en paix leur nectar et leur ambrosie en ne se mêlant de rien. Ces épicuriens enseignaient hardiment la matérialité et la mortalité de l’âme. Ils n’en furent pas moins considérés : on les admettait dans tous les emplois, et leurs atomes crochus ne firent jamais aucun mal au monde.

« Les platoniciens, à l’exemple des gymnosophistes, ne nous faisaient pas l’honneur de penser que Dieu eût daigné nous former lui-même. Il avait, selon eux, laissé ce soin à ses officiers, à des génies qui firent dans leur besogne beaucoup de balourdises. Le dieu des platoniciens était un ouvrier excellent, qui employa ici-bas des élèves assez médiocres. Les hommes n’en révérèrent pas moins l’école de Platon.

« En un mot, chez les Grecs et chez les Romains, autant de sectes, autant de manières de penser sur Dieu, sur l’âme, sur le passé, et sur l’avenir : aucune de ces sectes ne fut persécutante. Toutes se trompaient, et nous en sommes bien fâchés ; mais toutes étaient paisibles, et c’est ce qui nous confond ; c’est ce qui nous condamne ; c’est ce qui nous fait voir que la plupart des raisonneurs d’aujourd’hui sont des monstres, et que ceux de l’antiquité étaient des hommes. On chantait publiquement sur le théâtre de Rome :


Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil[1].

Rien n’est après la mort, la mort même n’est rien.


« Ces sentiments ne rendaient les hommes ni meilleurs ni pires : tout se gouvernait, tout allait à l’ordinaire ; et les Titus, les Trajan, les Marc-Aurèle, gouvernèrent la terre en dieux bienfaisants[2].

  1. Sénèque le Tragique, Troade, à la fin du 2e acte.
  2. On a déclamé aussi sur le Théâtre-Français ces vers de Cyrano de Bergerac :

    Une heure après la mort, notre âme évanouie
    Sera ce qu’elle était une heure avant la vie.