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ANCIENS ET MODERNES.
ADMÈTE.

Plût au ciel que tu fusses dans un état où tu eusses besoin de moi !

LE PÈRE.

Fais mieux, épouse plusieurs femmes, afin qu’elles meurent pour te faire vivre plus longtemps.

Après cette scène, un domestique vient parler tout seul de l’arrivée d’Hercule. « C’est un étranger, dit-il, qui a ouvert la porte lui-même, s’est d’abord mis à table ; il se fâche de ce qu’on ne lui sert pas assez vite à manger, il remplit de vin à tout moment sa coupe, boit à longs traits du rouge et du paillet, et ne cesse de boire et de chanter de mauvaises chansons qui ressemblent à des hurlements, sans se mettre en peine du roi et de sa femme que nous pleurons. C’est sans doute quelque fripon adroit, un vagabond, un assassin ».

Il peut être assez étrange qu’on prenne Hercule pour un fripon adroit ; il ne l’est pas moins qu’Hercule, ami d’Admète, soit inconnu dans la maison. Il l’est encore plus qu’Hercule ignore la mort d’Alceste, dans le temps même qu’on la porte au tombeau.

Il ne faut pas disputer des goûts ; mais il est sûr que de telles scènes ne seraient pas souffertes chez nous à la Foire.

Brumoy, qui nous a donné le Théâtre des Grecs, et qui n’a pas traduit Euripide avec une fidélité scrupuleuse, fait ce qu’il peut pour justifier la scène d’Admète et de son père ; on ne devinerait pas le tour qu’il prend.

Il dit d’abord que « les Grecs n’ont pas trouvé à redire à ces mêmes choses qui sont à notre égard des indécences, des horreurs ; qu’ainsi il faut convenir qu’elles ne sont pas tout à fait telles que nous les imaginons ; en un mot, que les idées ont changé ».

On peut répondre que les idées des nations policées n’ont jamais changé sur le respect que les enfants doivent à leurs pères.

« Qui peut douter, ajoute-t-il, que les idées n’aient changé en différents siècles sur des points de morale plus importants ? »

On répond qu’il n’y en a guère de plus importants.

« Un Français, continue-t-il, est insulté ; le prétendu bon sens français veut qu’il coure les risques du duel, et qu’il tue ou meure pour recouvrer son honneur. »

On répond que ce n’est pas le seul prétendu bon sens français, mais celui de toutes les nations de l’Europe sans exception.