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ANGE.

lone; c’est alors qu’il commence à être question d’Asmodée, que Raphaël alla enchaîner dans la haute Égypte ; c’est alors que les Juifs entendent parler de Satan. Ce mot Satan était chaldéen, et le livre de Job, habitant de Chaldée, est le premier qui en fasse mention.

Les anciens Perses disaient que Satan était un génie qui avait fait la guerre aux Dives et aux Péris, c’est-à-dire aux fées.

Ainsi selon les règles ordinaires de la probabilité il serait permis, à ceux qui ne se serviraient que de leur raison, de penser que c’est dans cette théologie qu’on a enfin pris l’idée, chez les Juifs et les chrétiens, que les mauvais anges avaient été chassés du ciel, et que leur prince avait tenté Eve sous la figure d’un serpent.

On a prétendu qu’Isaïe (dans son chap. xiv, v. 12) avait cette allégorie en vue quand il dit : Quomodo cecidisti de cœlo, Lucifer, qui mane oriebaris ? Comment es-tu tombé du ciel, astre de lumière, qui te levais au matin ? »

C’est même ce verset latin, traduit d’Isaïe, qui a procuré au diable le nom de Lucifer. On n’a pas songé que Lucifer signifie celui qui répand la lumière. On a encore moins réfléchi aux paroles d’Isaïe. Il parle du roi de Babylone détrôné, et, par une figure commune, il lui dit : Comment es-tu tombé des cieux, astre éclatant ?

Il n’y a pas d’apparence qu’Isaïe ait voulu établir par ce trait de rhétorique la doctrine des anges précipités dans l’enfer : aussi ce ne fut guère que dans le temps de la primitive Église chrétienne que les Pères et les rabbins s’efforcèrent d’encourager cette doctrine, pour sauver ce qu’il y avait d’incroyable dans l’histoire d’un serpent qui séduisit la mère des hommes, et qui, condamné pour cette mauvaise action à marcher sur le ventre, a depuis été l’ennemi de l’homme, qui tâche toujours de l’écraser, tandis que celui-ci tâche toujours de le mordre. Des substances célestes, précipitées dans l’abîme, qui en sortent pour persécuter le genre humain, ont paru quelque chose de plus sublime.

On ne peut prouver, par aucun raisonnement, que ces puissances célestes et infernales existent ; mais aussi on ne saurait prouver qu’elles n’existent pas. Il n’y a certainement aucune contradiction à reconnaître des substances bienfaisantes et malignes, qui ne soient ni de la nature de Dieu ni de la nature des hommes ; mais il ne suffit pas qu’une chose soit possible pour la croire.

Les anges qui présidaient aux nations chez les Babyloniens et