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A.


vaut mieux que ce que nous dirons sur la lettre A, qui a été si bien traitée par feu M. Dumarsais, et par ceux qui ont joint leur travail au sien. Nous ne parlerons point des autres lettres, et nous renvoyons à l’Encyclopédie, qui dit tout ce qu’il faut sur cette matière.

On commence à substituer la lettre a à la lettre o dans français, française, anglais, anglaise, et dans tous les imparfaits, comme il employait, il octroyait, il ploierait[1], etc. ; la raison n’en est-elle pas évidente ? ne faut-il pas écrire comme on parle autant qu’on le peut ? n’est-ce pas une contradiction d’écrire oi et de prononcer ai ? Nous disions autrefois je croyois, j’octroyois, j’employois, je ployois : lorsque enfin on adoucit ces sons barbares, on ne songea point à réformer les caractères, et le langage démentit continuellement l’écriture.

Mais quand il fallut faire rimer en vers les ois qu’on prononçait ais, avec les ois qu’on prononçait ois, les auteurs furent bien embarrassés. Tout le monde, par exemple, disait français dans la conversation et dans les discours publics ; mais comme la coutume vicieuse de rimer pour les yeux et non pas pour les oreilles s’était introduite parmi nous, les poëtes se crurent obligés de faire rimer français à lois, rois, exploits ; et alors les mêmes académiciens qui venaient de prononcer français dans un discours oratoire, prononçaient françois dans les vers. On trouve dans une pièce de vers de Pierre Corneille, sur le passage du Rhin, assez peu connue[2] :


Quel spectacle d’effroi, grand Dieu ! si toutefois
Quelque chose pouvoit effrayer des François.

Le lecteur peut remarquer quel effet produiraient aujourd’hui ces vers, si l’on prononçait, comme sous François Ier, pouvait par un o ; quelle cacophonie feraient effroi, toutefois, pouvoit, françois.

Dans le temps que notre langue se perfectionnait le plus, Boileau disait[3] :


Qu’il s’en prenne à sa muse allemande en françois ;
Mais laissons Chapelain pour la dernière fois.

  1. C’est ainsi qu’on lit dans les Questions sur l’Encyclopédie, éditions de 1770, 1771, 1775, et dans l’édition in-4o.
  2. Les Victoires du roi sur les États de Hollande en l’année 1672. (B.)
  3. Satire ix, 241-42.