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ANTHROPOPHAGES.

tous ses membres dans la chaudière, chacun en mangea, et on en offrit un morceau au P. Brébœuf[1].

Charlevoix parle, dans un autre endroit, de vingt-deux Hurons mangés par les Iroquois. On ne peut donc douter que la nature humaine ne soit parvenue dans plus d’un pays à ce dernier degré d’horreur ; et il faut bien que cette exécrable coutume soit de la plus haute antiquité puisque nous voyons dans la sainte Écriture que les Juifs sont menacés de manger leurs enfants s’ils n’obéissent pas à leurs lois. Il est dit aux Juifs[2] que « non-seulement ils auront la gale, que leurs femmes s’abandonneront à d’autres, mais qu’ils mangeront leurs filles et leurs fils dans l’angoisse et la dévastation ; qu’ils se disputeront leurs enfants pour s’en nourrir ; que le mari ne voudra pas donner à sa femme un morceau de son fils, parce qu’il dira qu’il n’en a pas trop pour lui. »

Il est vrai que de très-hardis critiques prétendent que le Deutéronome ne fut composé qu’après le siége mis devant Samarie par Benadad, siége pendant lequel il est dit, au quatrième livre des Rois, que les mères mangèrent leurs enfants. Mais ces critiques, en ne regardant le Deutéronome que comme un livre écrit après ce siège de Samarie, ne font que confirmer cette épouvantable aventure. D’autres prétendent qu’elle ne peut être arrivée comme elle est rapportée dans le quatrième livre des Rois. Il y est dit[3] que le roi d’Israël, en passant par le mur ou sur le mur de Samarie, une femme lui dit : « Sauvez-moi, seigneur roi ; » il lui répondit : « Ton Dieu ne te sauvera pas ; comment pourrais-je te sauver ? serait-ce de l’aire ou du pressoir ? » Et le roi ajouta : « Que veux-tu ? » et elle répondit : Ô roi ! voici une femme qui m’a dit : Donnez-moi votre fils, nous le mangerons aujourd’hui, et demain nous mangerons le mien. Nous avons donc fait cuire mon fils, et nous l’avons mangé ; je lui ai dit aujourd’hui : Donnez-moi votre fils afin que nous le mangions, et elle a caché son fils. »

Ces censeurs prétendent qu’il n’est pas vraisemblable que le roi Benadad assiégeant Samarie, le roi Joram ait passé tranquillement par le mur ou sur le mur pour y juger des causes entre des Samaritains. Il est encore moins vraisemblable que deux femmes ne se soient pas contentées d’un enfant pour deux jours. Il y avait là de quoi les nourrir quatre jours au moins ; mais de

  1. Voyez la lettre de Brébœuf, et l’Histoire de Charlevoix, tome Ier, page 327 et suiv. (Note de Voltaire.)
  2. Deutéronome, chapitre xxviii, v. 53. (Id.)
  3. Chapitre vi, v. 26 et suiv. (Id.)