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ARRÊTS NOTABLES.


ARRÊTS NOTABLES,
SUR LA LIBERTÉ NATURELLE.[1]


On a fait en plusieurs pays, et surtout en France, des recueils de ces meurtres juridiques que la tyrannie, le fanatisme, ou même l’erreur et la faiblesse, ont commis avec la glaive de la justice.

Il y a des arrêts de mort que des années entières de vengeance pourraient à peine expier, et qui feront frémir tous les siècles à venir. Tels sont les arrêts rendus contre le légitime roi de Naples et de Sicile, par le tribunal de Charles d’Anjou ; contre Jean Hus et Jérôme de Prague, par des prêtres et des moines ; contre le roi d’Angleterre Charles Ier, par des bourgeois fanatiques.

Après ces attentats énormes, commis en cérémonie, viennent les meurtres juridiques commis par la lâcheté, la bêtise, la superstition ; et ceux-là sont innombrables. Nous en rapporterons quelques-uns dans d’autres chapitres[2].

Dans cette classe, il faut ranger principalement les procès de sortilèges, et ne jamais oublier qu’encore de nos jours, en 1750, la justice sacerdotale de l’évêque de Vurtzbourg a condamné comme sorcière une religieuse, fille de qualité, au supplice du feu. C’est afin qu’on ne l’oublie pas que je répète ici cette aventure, dont j’ai parlé ailleurs[3]. On oublie trop et trop vite.

Je voudrais que chaque jour de l’année un crieur public, au lieu de brailler, comme en Allemagne et en Hollande, quelle heure il est (ce qu’on sait très-bien sans lui), criât : C’est aujourd’hui que, dans les guerres de religion, Magdebourg et tous ses habitants furent réduits en cendres. C’est ce 14 mai, à quatre heures et demie du soir, que Henri IV fut assassiné pour cette seule raison qu’il n’était pas assez soumis au pape ; c’est à tel jour qu’on a commis dans votre ville telle abominable cruauté sous le nom de justice.

Ces avertissements continuels seraient fort utiles.

Mais il faudrait crier à plus haute voix les jugements rendus en faveur de l’innocence contre les persécuteurs. Par exemple, je

  1. Questions sur l’Encyclopédie, deuxième partie, 1770. (B.)
  2. Aux mots Crimes, Supplices, Tortures.
  3. Dans le paragraphe ix du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines (voyez Mélanges, année 1766) ; Voltaire y dit que ce fut en 1749. Voyez aussi l’article Bekker ci-après.