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ABBAYE.

chaque jour visite à tous ses hôtes, qui sont quelquefois au nombre de trois cents. Saint Ignace, en 1538, y reçut l’hospitalité ; mais il fut logé sur le Mont-Cassin, dans une maison nommée l’Albanette, à six cents pas de l’abbaye vers l’occident. Ce fut là qu’il composa son célèbre institut : ce qui fait dire à un dominicain, dans un ouvrage latin intitulé la Tourterelle de l’âme, qu’Ignace habita quelques mois cette montagne de contemplation, et que, comme un autre Moïse et un autre législateur, il y fabriqua les secondes tables des lois religieuses qui ne le cèdent en rien aux premières.

À la vérité ce fondateur des jésuites ne trouva pas dans les bénédictins la même complaisance que saint Benoît, à son arrivée au Mont-Cassin, avait éprouvée de la part de saint Martin ermite, qui lui céda la place dont il était en possession, et se retira au Mont-Marsique, proche de la Carniole ; au contraire, le bénédictin Ambroise Cajetan, dans un gros ouvrage fait exprès, a prétendu revendiquer les jésuites à l’ordre de saint Benoît.

Le relâchement qui a toujours régné dans le monde, même parmi le clergé, avait déjà fait imaginer à saint Basile, dès le IVe siècle, de rassembler sous une règle les solitaires qui s’étaient dispersés dans les déserts pour y suivre la loi ; mais, comme nous le verrons à l’article Quête les réguliers ne l’ont pas toujours été : quant au clergé séculier, voici comme en parlait saint Cyprien dès le IIIe siècle[1]. Plusieurs évêques, au lieu d’exhorter les autres et de leur montrer l’exemple, négligeant les affaires de Dieu, se chargeaient d’affaires temporelles, quittaient leur chaire, abandonnaient leur peuple, et se promenaient dans d’autres provinces pour fréquenter les foires, et s’enrichir par le trafic. Ils ne secouraient point les frères qui mouraient de faim ; ils voulaient avoir de l’argent en abondance, usurper des terres par de mauvais artifices, tirer de grands profits par des usures.

Charlemagne, dans un écrit où il rédige ce qu’il voulait proposer au parlement de 811, s’exprime ainsi[2] : « Nous voulons connaître les devoirs des ecclésiastiques afin de ne leur demander que ce qui leur est permis, et qu’ils ne nous demandent que ce que nous devons accorder. Nous les prions de nous expliquer nettement ce qu’ils appellent quitter le monde, et en quoi l’on peut distinguer ceux qui le quittent de ceux qui y demeurent : si c’est seulement en ce qu’ils ne portent point les armes et ne sont pas mariés publiquement ; si celui-là a quitté le monde, qui ne

  1. De lapsis. (Note de Voltaire.)
  2. Capit. interrog., page 478, tome VII ; Conc., page 1184. (Id.)