Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/498

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
478
ATOMES.

temps proportionnels à leurs aires : ainsi ce n’étaient pas les intermèdes d’Épicure qui étaient ridicules, ce furent leurs adversaires.

Mais lorsque ensuite Épicure nous dit que ses atomes ont décliné par hasard dans le vide ; que cette déclinaison a formé par hasard les hommes et les animaux ; que les yeux par hasard se trouvèrent au haut de la tête, et les pieds au bout des jambes ; que les oreilles n’ont point été données pour entendre, mais que la déclinaison des atomes ayant fortuitement composé des oreilles, alors les hommes s’en sont servis fortuitement pour écouter : cette démence, qu’on appelait physique, a été traitée de ridicule à très-juste titre.

Les vrais philosophes ont donc distingué depuis longtemps ce qu’Épicure et Lucrèce ont de bon d’avec leurs chimères fondées sur l’imagination et l’ignorance. Les esprits les plus soumis ont adopté la création dans le temps, et les plus hardis ont admis la création de tout temps ; les uns ont reçu avec foi un univers tiré du néant ; les autres, ne pouvant comprendre cette physique, ont cru que tous les êtres étaient des émanations du grand Être, de l’Être suprême et universel ; mais tous ont rejeté le concours fortuit des atomes, tous ont reconnu que le hasard est un mot vide de sens. Ce que nous appelons hasard n’est et ne peut être que la cause ignorée d’un effet connu. Comment donc se peut-il faire qu’on accuse encore les philosophes de penser que l’arrangement prodigieux et ineffable de cet univers soit une production du concours fortuit des atomes, un effet du hasard ? Ni Spinosa ni personne n’a dit cette absurdité.

Cependant le fils du grand Racine dit, dans son poëme de la Religion (ch. 1, v. 113-118) :

Ô toi qui follement fais ton Dieu du hasard.
Viens me développer ce nid qu’avec tant d’art,
Au même ordre toujours architecte fidèle,
À l’aide de son bec, maçonne l’hirondelle :
Comment, pour élever ce hardi bâtiment,
A-t-elle en le broyant arrondi son ciment ?

Ces vers sont assurément en pure perte : personne ne fait son Dieu du hasard ; personne n’a dit « qu’une hirondelle, en broyant, en arrondissant son ciment, ait élevé son hardi bâtiment par hasard ». On dit, au contraire, « qu’elle fait son nid par les lois de la nécessité », qui est l’opposé du hasard. Le poète Rousseau tombe dans le même défaut dans une épître à ce même Racine :