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AUGURE.

de son livre, dit qu’il faut « détruire la superstition, et non pas la religion. Car, ajoute-t-il, la beauté de l’univers et l’ordre des choses célestes nous forcent de reconnaître une nature éternelle et puissante. Il faut maintenir la religion qui est jointe à la connaissance de cette nature, en extirpant toutes les racines de la superstition : car c’est un monstre qui vous poursuit, qui vous presse, de quelque côté que vous vous tourniez. La rencontre d’un devin prétendu, un présage, une victime immolée, un oiseau, un chaldéen, un aruspice, un éclair, un coup de tonnerre, un événement conforme par hasard à ce qui a été prédit, tout enfin vous trouble et vous inquiète. Le sommeil même, qui devrait faire oublier tant de peines et de frayeurs, ne sert qu’à les redoubler par des images funestes ».

Cicéron croyait ne parler qu’à quelques Romains : il parlait à tous les hommes et à tous les siècles.

La plupart des grands de Rome ne croyaient pas plus aux augures que le pape Alexandre VI, Jules II, et Léon X, ne croyaient à Notre-Dame de Lorette et au sang de saint Janvier. Cependant Suétone rapporte qu’Octave, surnommé Auguste, eut la faiblesse de croire qu’un poisson qui sortait hors de la mer sur le rivage d’Actium lui présageait le gain de la bataille. Il ajoute qu’ayant ensuite rencontré un ânier, il lui demanda le nom de son âne, et que l’ànier lui ayant répondu que son âne s’appelait Nicolas, qui signifie vainqueur des peuples, Octave ne douta plus de la victoire ; et qu’ensuite il fit ériger des statues d’airain à l’ânier, à l’âne, et au poisson sautant[1]. Il assure même que ces statues furent placées dans le Capitole.

Il est fort vraisemblable que ce tyran habile se moquait des superstitions des Romains, et que son âne, son ânier, et son poisson, n’étaient qu’une plaisanterie. Cependant il se peut très-bien qu’en méprisant toutes les sottises du vulgaire, il en eût conservé

  1. C’est à deux actions différentes qu’eurent lieu les présages rapportés par Suétone ; voici le texte de cet auteur (Octave, chapitre clvi) : « Pridie quam siciliensem pugnam classe committeret, deambulanti in littore piscis e mari exsiluit, et ad pedes jacuit. Apud Actium, descendenti in aciem asellus cum asinario occurrit : Eytichus homini, bestiæ Nicon, erat nomen. Utriusque simulacrum æneum victor posuit in templo, in quod castrorum suorum locum vertit. — La veille du combat naval qui le rendit maître de la Sicile, un poisson s’élança hors de la mer et tomba à ses pieds, lorsqu’il se promenait sur le rivage. En allant livrer la bataille d’Actium il rencontra un âne avec son conducteur : l’homme se nommait Eutichus, et sa bête Nicon. Après la victoire il fit placer leurs deux figures en bronze dans le temple qu’il bâtit à l’endroit où il avait campé. » Cette traduction est de M. Lévesque.