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ABUS DES MOTS.

géographique montre au moins que l’amour a beaucoup de logements différents. Cette idée fait voir que le même mot ne signifie pas la même chose, que la différence est prodigieuse entre l’amour de Tarquin et celui de Céladon, entre l’amour de David pour Jonathas, qui était plus fort que celui des femmes, et l’amour de l’abbé Desfontaines pour de petits ramoneurs de cheminée[1].

Le plus singulier exemple de cet abus des mots, de ces équivoques volontaires, de ces malentendus qui ont causé tant de querelles, est le King-Tien de la Chine. Des missionnaires d’Europe disputent entre eux violemment sur la signification de ce mot. La cour de Rome envoie un Français nommé Maigrot, qu’elle fait évêque imaginaire d’une province de la Chine, pour juger de ce différend. Ce Maigrot ne sait pas un mot de chinois ; l’empereur daigne lui faire dire ce qu’il entend par King-Tien ; Maigrot ne veut pas l’en croire, et fait condamner à Rome l’empereur de la Chine.

On ne tarit point sur cet abus des mots. En histoire, en morale, en jurisprudence, en médecine, mais surtout en théologie, gardez-vous des équivoques.

Boileau n’avait pas tort quand il fit la satire qui porte ce nom ; il eût pu la mieux faire ; mais il y a des vers dignes de lui que l’on cite tous les jours :

Lorsque chez tes sujets l’un contre l’autre armés,
Et sur un Dieu fait homme au combat animés,
Tu fis dans une guerre et si vive et si longue
Périr tant de chrétiens, martyrs d’une diphthongue.

[2]


ACADÉMIE[3].


Les académies sont aux universités ce que l’âge mûr est à l’enfance, ce que l’art de bien parler est à la grammaire, ce que

  1. Voyez, dans la Correspondance générale, la lettre à Thieriot, du 5 juin 1738.
  2. Boileau avait en effet mis ces quatre vers dans sa douzième satire ; mais il les a remplacés depuis par ceux-ci :

    Lorsque attaquant le Verbe et sa divinité,
    D’une syllabe impie un saint mot augmenté
    Remplit tous les esprits d’aigreurs si meurtrières,
    Et fit de sang chrétien couler tant de rivières.

    — La diphthongue est oi. (Voir l’Histoire de l’Arianisme.)

  3. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)