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ADORER.

même et par les apôtres après leurs pâques[1]. Ce cantique, qui est parvenu jusqu’à nous, n’est point mis dans le canon des livres sacrés ; mais on en retrouve des fragments dans la 237e lettre de saint Augustin à l’évêque Cérétius... Saint Augustin ne dit pas que cette hymne ne fut point chantée ; il n’en réprouve pas les paroles : il ne condamne les priscillianistes qui admettaient cette hymne dans leur Évangile que sur l’interprétation erronée qu’ils en donnaient, et qu’il trouve impie. Voici le cantique tel qu’on le trouve par parcelles dans Augustin même[2] :


Je veux délier, et je veux être délié.
Je veux sauver, et je veux être sauvé.
Je veux engendrer, et je veux être engendré.
Je veux chanter, dansez tous de joie.
Je veux pleurer, frappez-vous tous de douleur.
Je veux orner, et je veux être orné.
Je suis la lampe pour vous qui me voyez.
Je suis la porte pour vous qui y frappez.
Vous qui voyez ce que je fais, ne dites point ce que je fais.
J’ai joué tout cela dans ce discours, et je n’ai point du tout été joué.


Mais quelque dispute qui se soit élevée au sujet de ce cantique, il est certain que le chant était employé dans toutes les cérémonies religieuses. Mahomet avait trouvé ce culte établi chez les Arabes. Il l’est dans les Indes. Il ne paraît pas qu’il soit en usage chez les lettrés de la Chine. Les cérémonies ont partout quelque ressemblance et quelque différence ; mais on adore Dieu par toute la terre. Malheur sans doute à ceux qui ne l’adorent pas comme nous, et qui sont dans l’erreur, soit par le dogme, soit pour les rites : ils sont assis à l’ombre de la mort ; mais plus leur malheur est grand, plus il faut les plaindre et les supporter.

C’est même une grande consolation pour nous que tous les Mahométans, les Indiens, les Chinois, les Tartares, adorent un Dieu unique ; en cela ils sont nos frères. Leur fatale ignorance de nos mystères sacrés ne peut que nous inspirer une tendre compassion pour nos frères qui s’égarent. Loin de nous tout esprit de persécution qui ne servirait qu’à les rendre irréconciliables.

Un Dieu unique étant adoré sur toute la terre connue, faut-il

  1. Hymno dicto. Saint Matthieu, chapitre xxvi, v. 39, (Note de Voltaire.)
  2. Voltaire a cité ce passage plusieurs fois. Voyez dans les Mélanges, année 1767, le chapitre xiii de l’Examen important, etc. ; et année 1777, le chapitre VII de l’Histoire de l’établissement du christianisme.