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DE CATON, ET DU SUICIDE.

De mon temps, le dernier prince de la maison de Courtenai, très-vieux, et le dernier prince de la branche de Lorraine-Harcourt, très-jeune, se sont donné la mort sans qu’on en ait presque parlé. Ces aventures font un fracas terrible le premier jour ; et quand les biens du mort sont partagés, on n’en parle plus.

Voici le plus fort de tous les suicides. Il vient de s’exécuter à Lyon, au mois de juin 1770.

Un jeune homme très-connu, beau, bien fait, aimable, plein de talents, est amoureux d’une jeune fille que les parents ne veulent point lui donner. Jusqu’ici ce n’est que la première scène d’une comédie, mais l’étonnante tragédie va suivre.

L’amant se rompt une veine par un effort. Les chirurgiens lui disent qu’il n’y a point de remède : sa maîtresse lui donne un rendez-vous avec deux pistolets et deux poignards, afin que si les pistolets manquent leur coup, les deux poignards servent à leur percer le cœur en même temps. Ils s’embrassent pour la dernière fois ; les détentes des pistolets étaient attachées à des rubans couleur de rose ; l’amant tient le ruban du pistolet de sa maîtresse ; elle tient le ruban du pistolet de son amant. Tous deux tirent à un signal donné, tous deux tombent au même instant.

La ville entière de Lyon en est témoin. Arrie et Pétus, vous en aviez donné l’exemple ; mais vous étiez condamnés par un tyran, et l’amour seul a immolé ces deux victimes ! On leur a fait cette épitaphe[1] :

À votre sang mêlons nos pleurs,
Attendrissons-nous d’âge en âge
Sur vos amours et vos malheurs ;
Mais admirons votre courage.


DES LOIS CONTRE LE SUICIDE.


Y a-t-il une loi civile ou religieuse qui ait prononcé défense de se tuer sous peine d’être pendu après sa mort, ou sous peine d’être damné ?

Il est vrai que Virgile a dit :

Proxima deinde tenent mœsti loca, qui sibi lethum
Insontes peperere manu, lucemque perosi
Projecere animas. Quam vellent æthere in alto
Nunc et pauperiem et duros perferre labores !

  1. Une note manuscrite m’apprend que ces vers sont de Vasselier, mort en 1797. Je ne les ai pas trouves dans l’édition de ses Œuvres, faite en 1800, 3 vol. in-18. (B.)