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CHARITÉ, HÔPITAUX.

revenu, qui augmente chaque année, et les Parisiens l’ont doté à l’envi.

On ne peut s’empêcher de remarquer ici que Germain Brice, dans sa Description de Paris, en parlant de quelques legs faits par le premier président de Bellièvre à la salle de l’Hôtel-Dieu nommée Saint-Charles, dit « qu’il faut lire cette belle inscription gravée en lettres d’or dans une grande table de marbre, de la composition d’Olivier Patra de l’Académie française, un des plus beaux esprits de son temps, dont on a des plaidoyers fort estimés :

« Qui que tu sois qui entres dans ce saint lieu, tu n’y verras presque partout que des fruits de la charité du grand Pomponne. Les brocarts d’or et d’argent, et les beaux meubles qui paraient autrefois sa chambre, par une heureuse métamorphose servent maintenant aux nécessités des malades. Cet homme divin qui fut l’ornement et les délices de son siècle, dans le combat même de la mort, a pensé au soulagement des affligés. Le sang de Bellièvre s’est montré dans toutes les actions de sa vie. La gloire de ses ambassades n’est que trop connue, etc. »

L’utile Chamousset fit mieux que Germain Brice et Olivier Patni, l’un des plus beaux esprits du temps ; voici le plan dont il proposa de se charger à ses frais, avec une compagnie solvable.

Les administrateurs de l’Hôtel-Dieu portaient en compte la valeur de cinquante livres pour chaque malade, ou mort, ou guéri. M. de Chamousset et sa compagnie offraient de gérer pour cinquante livres seulement par guérison. Les morts allaient par-dessus le marché, et étaient à sa charge.

La proposition était si belle qu’elle ne fut point acceptée. On craignit qu’il ne pût la remplir. Tout abus qu’on veut réformer est le patrimoine de ceux qui ont plus de crédit que les réformateurs.

Une chose non moins singulière est que l’Hôtel-Dieu a seul le privilége de vendre la chair en carême à son profit, et il y perd. M. de Chamousset offrit de faire un marché où l’Hôtel-Dieu gagnerait : on le refusa, et on chassa le boucher qu’on soupçonna de lui avoir donné l’avis[1].

Ainsi chez les humains, par un abus fatal,
Le bien le plus parfait est la source du mal.

(Henriade, chant V, 43-44.)



  1. En 1775, sous l’administration de M. Turgot, ce privilége ridicule de l’Hôtel-Dieu fut détruit et remplacé par un impôt sur l’entrée de la viande. Le peuple de Paris était réduit auparavant à n’avoir pendant tout le carême qu’une nourriture malsaine et très-chère. Cependant quelques hommes ont osé regretter cet ancien usage, non qu’ils le crussent utile, mais parce qu’il était un monument du pouvoir que le clergé avait eu trop longtemps sur l’ordre public, et que sa destruction avançait la décadence de ce pouvoir. En 1629, on tuait six bœufs à l’Hôtel-Dieu pendant le carême, deux cents en 1605, cinq cents en 1708, quinze cents en 1750 ; on en consomme aujourd’hui près de neuf mille. (K.)