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CHARLATAN.

latan s’augmenta comme sa réputation. L’abbé de Pons, l’enthousiaste, le mettait fort au-dessus du maréchal de Villars : « Il fait tuer des hommes, lui dit-il, et vous les faites vivre. »

On sut enfin que l’eau de Villars n’était que de l’eau de rivière : on n’en voulut plus, et on alla à d’autres charlatans.

Il est certain qu’il avait fait du bien, et qu’on ne pouvait lui reprocher que d’avoir vendu l’eau de la Seine un peu trop cher. Il portait les hommes à la tempérance, et par là il était supérieur à l’apothicaire Arnoult, qui a farci l’Europe de ses sachets contre l’apoplexie, sans recommander aucune vertu.

J’ai connu un médecin de Londres nommé Brown, qui pratiquait aux Barbades. Il avait une sucrerie et des nègres ; on lui vola une somme considérable ; il assembla ses nègres : « Mes amis, leur dit-il, le grand serpent m’a apparu pendant la nuit ; il m’a dit que le voleur aurait dans ce moment une plume de perroquet sur le bout du nez. » Le coupable sur-le-champ porte la main à son nez. « C’est toi qui m’as volé, dit le maître ; le grand serpent vient de m’en instruire ; » et il reprit son argent. On ne peut guère condamner une telle charlatanerie ; mais il fallait avoir affaire à des nègres.

Scipion le premier Africain, ce grand Scipion, fort différent d’ailleurs du médecin Brown, faisait croire volontiers à ses soldats qu’il était inspiré par les dieux. Cette grande charlatanerie était en usage dès longtemps. Peut-on blâmer Scipion de s’en être servi ? il fut peut-être l’homme qui fit le plus d’honneur à la république romaine ; mais pourquoi les dieux lui inspirèrent-ils de ne point rendre ses comptes ?

Numa fit mieux ; il fallait policer des brigands et un sénat qui était la portion de ces brigands la plus difficile à gouverner. S’il avait proposé ses lois aux tribus assemblées, les assassins de son prédécesseur lui auraient fait mille difficultés. Il s’adresse à la déesse Égérie, qui lui donne des pandectes de la part de Jupiter ; il est obéi sans contradiction, et il règne heureux. Ses institutions sont bonnes, son charlatanisme fait du bien ; mais si quelque ennemi secret avait découvert la fourberie, si on avait dit : Exterminons un fourbe qui prostitue le nom des dieux pour tromper les hommes, il courait risque d’être envoyé au ciel avec Romulus.

Il est probable que Numa prit très-bien ses mesures, et qu’il trompa les Romains pour leur profit, avec une habileté convenable au temps, aux lieux, à l’esprit des premiers Romains.

Mahomet fut vingt fois sur le point d’échouer ; mais enfin il