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CHARLES IX.

ment, et in promptu, sans songer, comme j’en ay veu plusieurs... quand il faisoit mauvais temps, ou de pluye ou d’un extrême chaud, il envoyoit quérir messieurs les poëtes en son cabinet, et là passoit son temps avec eux, etc.[1] »

S’il avait toujours passé son temps ainsi, et surtout s’il avait fait de bons vers, nous n’aurions pas eu la Saint-Barthélemy ; il n’aurait pas tiré de sa fenêtre avec une carabine sur ses propres sujets[2] comme sur des perdreaux. Ne croyez-vous pas qu’il est impossible qu’un bon poëte soit un barbare ? Pour moi, j’en suis persuadé.

On lui attribue ces vers, faits en son nom pour Ronsard :

Ta lyre qui ravit par de si doux accords,
Te soumet les esprits dont je n’ai que les corps ;
Le maître elle l’en rend, et te sait introduire
Où le plus fier tyran ne peut avoir d’empire.

Ces vers sont bons, mais sont-ils de lui ? Ne sont-ils pas de son précepteur ? En voici de son imagination royale, qui sont un peu différents :

Il faut suivre ton roi qui l’aime par sus tous,
Pour les vers qui de toi coulent braves et doux ;
Et crois, si tu ne viens me trouver à Pontoise,
Qu’entre nous adviendra une très-grande noise.

L’auteur de la Saint-Barthélemy pourrait bien avoir fait ceux-là. Les vers de César sur Térence sont écrits avec un peu plus d’esprit et de goût. Ils respirent l’urbanité romaine. Ceux de François Ier et de Charles IX se ressentent de la grossièreté welche. Plût à Dieu que Charles IX eût fait plus de vers, même mauvais ! Une application constante aux arts aimables adoucit les mœurs.

Emollit mores, nec sinit esse feros.

(Ovid., II, de Ponto, ix, 48.)

Au reste, la langue française ne commença à se dérouiller un peu que longtemps après Charles IX. Voyez les lettres qu’on nous

  1. Brantôme, Vie des hommes illustres, etc., discours lxxxviii.
  2. Cette circonstance horrible de la vie de Charles IX, révoquée en doute par quelques personnes, surtout depuis qu’on a abattu le poteau qui avait été mal placé sur le quai du Louvre, est rapportée par Brantôme. Voyez tome IX, page 427 de l’édition de 1740 des Œuvres de cet auteur. (B.)