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CICÉRON.

portance. Le danger existait dans ses discours bien plus que dans la chose. C’était une entreprise d’hommes ivres qu’il était facile de déconcerter. Ni le chef ni les complices n’avaient pris la moindre mesure pour assurer le succès de leur crime. Il n’y eut d’étonnant dans cette étrange affaire que l’appareil dont le consul chargea toutes ses démarches, et la facilité avec laquelle on lui laissa sacrifier à son amour-propre tant de rejetons des plus illustres familles.

« D’ailleurs, la vie de Cicéron est pleine de traits honteux ; son éloquence était vénale autant que son âme était pusillanime. Si ce n’était pas l’intérêt qui dirigeait sa langue, c’était la frayeur ou l’espérance. Le désir de se faire des appuis le portait à la tribune pour y défendre sans pudeur des hommes plus déshonorés, plus dangereux cent fois que Catilina. Parmi ses clients, on ne voit presque que des scélérats ; et par un trait singulier de la justice divine, il reçut enfin la mort des mains d’un de ces misérables que son art avait dérobés aux rigueurs de la justice humaine. »

À le bien prendre, la conjuration de Catilina fit à Rome plus que du bruit ; elle la plongea dans le plus grand trouble et dans le plus grand danger. Elle ne fut terminée que par une bataille si sanglante qu’il n’est aucun exemple d’un pareil carnage, et peu d’un courage aussi intrépide. Tous les soldats de Catilina, après avoir tué la moitié de l’armée de Petreius, furent tués jusqu’au dernier ; Catilina périt percé de coups sur un monceau de morts, et tous furent trouvés le visage tourné contre l’ennemi. Ce n’était pas là une entreprise si facile à déconcerter ; César la favorisait ; elle apprit à César à conspirer un jour plus heureusement contre sa patrie.

« Cicéron défendait sans pudeur des hommes plus déshonorés, plus dangereux cent fois que Catilina. »

Est-ce quand il défendait dans la tribune la Sicile contre Verrès, et la république romaine contre Antoine ? est-ce quand il réveillait la clémence de César en faveur de Ligarius et du roi Déjotare ? ou lorsqu’il obtenait le droit de cité pour le poète Archias ? ou lorsque, dans sa belle oraison pour la loi Manilia, il emportait tous les suffrages des Romains en faveur du grand Pompée ?

Il plaida pour Milon, meurtrier de Clodius ; mais Clodius avait mérité sa fin tragique par ses fureurs. Clodius avait trempé dans la conjuration de Catilina ; Clodius était son plus mortel ennemi ; il avait soulevé Rome contre lui, et l’avait puni d’avoir sauvé Rome ; Milon était son ami.

Quoi ! c’est de nos jours qu’on ose dire que Dieu punit Cicéron