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CLIMAT.

L’abbé Dubos soutint et développa autant qu’il le put ce sentiment de Chardin.

Cent cinquante ans avant eux, Bodin en avait fait la base de son système, dans sa République et dans sa Méthode de l’histoire ; il dit que l’influence du climat est le principe du gouvernement des peuples et de leur religion.

Diodore de Sicile fut de ce sentiment longtemps avant Bodin.

L’auteur de l’Esprit des lois[1], sans citer personne, poussa cette idée encore plus loin que Dubos, Chardin et Bodin. Une certaine partie de la nation l’en crut l’inventeur, et lui en fit un crime. C’est ainsi que cette partie de la nation est faite. Il y a partout des gens qui ont plus d’enthousiasme que d’esprit.

On pourrait demander à ceux qui soutiennent que l’atmosphère fait tout, pourquoi l’empereur Julien dit dans son Misopogon que ce qui lui plaisait dans les Parisiens, c’était la gravité de leurs caractères et la sévérité de leurs mœurs ; et pourquoi ces Parisiens, sans que le climat ait changé, sont aujourd’hui des enfants badins à qui le gouvernement donne le fouet en riant, et qui eux-mêmes rient le moment d’après, en chansonnant leurs précepteurs ?

Pourquoi les Égyptiens, qu’on nous peint encore plus graves que les Parisiens, sont aujourd’hui le peuple le plus mou, le plus frivole, et le plus lâche, après avoir, dit-on, conquis autrefois toute la terre pour leur plaisir, sous un roi nommé Sésostris ?

Pourquoi, dans Athènes, n’y a-t-il plus d’Anacréon, ni d’Aristote, ni de Zeuxis ?

D’où vient que Rome a pour ses Cicéron, ses Caton et ses Tite-Live, des citoyens qui n’osent parler, et une populace de gueux abrutis, dont le suprême bonheur est d’avoir quelquefois de l’huile à bon marché, et de voir défiler des processions ?

Cicéron plaisante beaucoup sur les Anglais dans ses lettres. Il prie Quintus, son frère, lieutenant de César, de lui mander s’il a trouvé de grands philosophes parmi eux dans l’expédition d’Angleterre. Il ne se doutait pas qu’un jour ce pays pût produire des mathématiciens qu’il n’aurait jamais pu entendre. Cependant le climat n’a point changé ; et le ciel de Londres est tout aussi nébuleux qu’il l’était alors.

Tout change dans les corps et dans les esprits avec le temps. Peut-être un jour les Américains viendront enseigner les arts aux peuples de l’Europe.

  1. Livre XIV.