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CONSCIENCE.

C’est ce qui a produit des casuistes, c’est-à-dire des gens qui décident des cas de conscience. Un des plus sages casuistes a été Cicéron dans son livre des Offices, c’est-à-dire des devoirs de l’homme. Il examine les points les plus délicats ; mais, longtemps avant lui, Zoroastre avait paru régler la conscience par le plus beau des préceptes : « Dans le doute si une action est bonne ou mauvaise, abstiens-toi. » (Porte XXX.) Nous en parlons ailleurs[1].

SECTION II[2].


Si un juge doit juger selon sa conscience ou selon les preuves.


Thomas d’Aquin, vous êtes un grand saint, un grand théologien ; et il n’y a point de dominicain qui ait pour vous plus de vénération que moi. Mais vous avez décidé dans votre Somme qu’un juge doit donner sa voix selon les allégations et les prétendues preuves contre un accusé dont l’innocence lui est parfaitement connue. Vous prétendez que les dépositions des témoins qui ne peuvent être que fausses, les preuves résultantes du procès qui sont impertinentes, doivent l’emporter sur le témoignage de ses yeux mêmes. Il a vu commettre le crime par un autre ; et, selon vous, il doit en conscience condamner l’accusé quand sa conscience lui dit que cet accusé est innocent.

Il faudrait donc, selon vous, que si le juge lui-même avait commis le crime dont il s’agit, sa conscience l’obligeât de condamner l’homme faussement accusé de ce même crime.

En conscience, grand saint, je crois que vous vous êtes trompé de la manière la plus absurde et la plus horrible : c’est dommage qu’en possédant si bien le droit canon vous ayez si mal connu le droit naturel. Le premier devoir d’un magistrat est d’être juste avant d’être formaliste : si en vertu des preuves, qui ne sont jamais que des probabilités, je condamnais un homme dont l’innocence me serait démontrée, je me croirais un sot et un assassin.

Heureusement, tous les tribunaux de l’univers pensent autrement que vous. Je ne sais pas si Farinacius et Grillandus sont de votre avis. Quoi qu’il en soit, si vous rencontrez jamais Cicéron,

  1. Voyez dans le présent dictionnaire les articles Beau, Juste, Religion, section II, et Zoroastre ; et encore dans les Mélanges, année 1768, le dialogue A, B, C, dixième entretien.
  2. Voyez la note, page 234.