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CONTRADICTIONS.
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L’abbé de Saint-Pierre, homme qui a pu se tromper souvent, mais qui n’a jamais écrit qu’en vue du bien public, et dont les ouvrages étaient appelés par le cardinal Dubois les rêves d’un bon citoyen ; l’abbé de Saint-Pierre, dis-je, a été exclu de l’Académie française d’une voix unanime, pour avoir, dans un ouvrage de politique, préféré l’établissement des conseils sous la régence aux bureaux des secrétaires d’État qui gouvernaient sous Louis XIV, et pour avoir dit que les finances avaient été malheureusement administrées sur la fin de ce glorieux règne. L’auteur des Lettres persanes n’avait parlé de Louis XIV, dans son livre, que pour dire que ce roi était un « magicien[1], qui faisait accroire à ses sujets que du papier était de l’argent ; qu’il n’aimait que le gouvernement turc[2] ; qu’il préférait un homme qui lui donnait la serviette à un homme qui lui avait gagné des batailles ; qu’il avait donné une pension à un homme qui avait fui deux lieues, et un gouvernement à un homme qui en avait fui quatre ; qu’il était accablé de pauvreté » ; quoiqu’il soit dit dans la même Lettre que ses finances sont inépuisables. Voilà, encore une fois, tout ce que cet auteur, dans son seul livre alors connu, avait dit de Louis XIV, protecteur de l’Académie française ; et ce livre est le seul titre sur lequel l’auteur a été effectivement reçu dans l’Académie française. On peut ajouter encore, pour comble de contradiction, que cette compagnie le reçut pour en avoir été tournée en ridicule. Car de tous les livres où on s’est réjoui aux dépens de cette Académie, il n’y en a guère où elle soit traitée plus mal que dans les Lettres persanes. Voyez la lettre[3] où il est dit : « Ceux qui composent ce corps n’ont d’autres fonctions que de jaser sans cesse. L’éloge vient se placer comme de lui-même dans leur babil éternel, etc. » Après avoir ainsi traité cette compagnie, il fut loué par elle, à sa réception, du talent de faire des portraits ressemblants[4].

Si je voulais continuer à examiner les contrariétés qu’on trouve dans l’empire des lettres, il faudrait écrire l’histoire de tous les savants et de tous les beaux-esprits : de même que si je voulais détailler les contrariétés dans la société, il faudrait

  1. Œuvres complètes de Montesquieu, tome ler, p. 110.
  2. Ibid., p. 144.
  3. Ibid., p. 247.
  4. Cette phrase ne se trouve point dans le discours imprimé de M. Mallet, alors directeur : ainsi, ou la mémoire de M. de Voltaire l’a mal servi, ou cette phrase ayant été remarquée à la lecture publique, on l’aura supprimée dans l’impression. (K.)