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CONTRADICTIONS.

Saint Jean dit que ce fut André qui s’attacha le premier à Jésus-Christ ; les trois autres évangélistes disent que ce fut Simon Pierre.

Il prétend encore qu’ils se contredisent sur le jour où Jésus célébra sa pâque, sur l’heure de son supplice, sur le lieu, sur le temps de son apparition, de sa résurrection. Il est persuadé que des livres qui se contredisent ne peuvent être inspirés par le Saint-Esprit ; mais il n’est pas de foi que le Saint-Esprit ait inspiré toutes les syllabes ; il ne conduisit pas la main de tous les copistes, il laissa agir les causes secondes : c’était bien assez qu’il daignât nous révéler les principaux mystères, et qu’il instituât dans la suite des temps une Église pour les expliquer. Toutes ces contradictions, reprochées si souvent aux Évangiles avec une si grande amertume, sont mises au grand jour par les sages commentateurs : loin de se nuire, elles s’expliquent chez eux l’une par l’autre ; elles se prêtent un mutuel secours dans les concordances, et dans l’harmonie des quatre Évangiles.

Et s’il y a plusieurs difficultés qu’on ne peut expliquer, des profondeurs qu’on ne peut comprendre, des aventures qu’on ne peut croire, des prodiges qui révoltent la faible raison humaine, des contradictions qu’on ne peut concilier, c’est pour exercer notre foi, et pour humilier notre esprit.


Contradictions dans les jugements sur les ouvrages.


J’ai quelquefois entendu dire d’un bon juge plein dégoût : « Cet homme ne décide que par humeur ; il trouvait hier le Poussin un peintre admirable ; aujourd’hui il le trouve très-médiocre. » C’est que le Poussin en effet a mérité de grands éloges et des critiques.

On ne se contredit point quand on est en extase devant les belles scènes d’Horace et de Curiace, du Cid et de Chimène, d’Auguste et de Cinna, et qu’on voit ensuite, avec un soulèvement de cœur mêlé de la plus vive indignation, quinze tragédies de suite sans aucun intérêt, sans aucune beauté, et qui ne sont pas même écrites en français.

C’est l’auteur qui se contredit : c’est lui qui a le malheur d’être entièrement différent de lui-même. Le juge se contredirait s’il applaudissait également l’excellent et le détestable. Il doit admirer dans Homère la peinture des Prières qui marchent après l’Injure, les yeux mouillés de pleurs ; la ceinture de Vénus ; les adieux d’Hector et d’Andromaque ; l’entrevue d’Achille et de