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CRIMINEL.

qu’il voudra. Ces témoins sont entendus une seconde fois, toujours en secret, ce qui s’appelle récolement ; et si après le récolement ils se rétractent de leurs dépositions, ou s’ils les changent dans des circonstances essentielles, ils sont punis comme faux témoins. De sorte que lorsqu’un homme d’un esprit simple, et ne sachant pas s’exprimer, mais ayant le cœur droit et se souvenant qu’il en a dit trop ou trop peu, qu’il a mal entendu le juge, ou que le juge l’a mal entendu, révoque par esprit de justice ce qu’il a dit par imprudence, il est puni comme un scélérat : ainsi il est forcé souvent de soutenir un faux témoignage, par la seule crainte d’être traité en faux témoin.

L’accusé, en fuyant, s’expose à être condamné, soit que le crime ait été prouvé, soit qu’il ne l’ait pas été. Quelques jurisconsultes, à la vérité, ont assuré que le contumax ne devait pas être condamné, si le crime n’était pas clairement prouvé ; mais d’autres jurisconsultes, moins éclairés et peut-être plus suivis, ont eu une opinion contraire ; ils ont osé dire que la fuite de l’accusé était une preuve du crime ; que le mépris qu’il marquait pour la justice, en refusant de comparaître, méritait le même châtiment que s’il était convaincu. Ainsi, suivant la secte de jurisconsultes que le juge aura embrassée, l’innocent sera absous ou condamné.

C’est un grand abus dans la jurisprudence que l’on prenne souvent pour loi les rêveries et les erreurs, quelquefois cruelles, d’hommes sans aveu qui ont donné leurs sentiments pour des lois.

Sous le règne de Louis XIV on a fait en France deux ordonnances qui sont uniformes dans tout le royaume. Dans la première, qui a pour objet la procédure civile, il est défendu aux juges de condamner en matière civile par défaut, quand la demande n’est pas prouvée ; mais dans la seconde, qui règle la procédure criminelle, il n’est point dit que, faute de preuves, l’accusé sera renvoyé. Chose étrange ! la loi dit qu’un homme à qui l’on demande quelque argent ne sera condamné par défaut qu’au cas que la dette soit avérée ; mais s’il s’agit de la vie, c’est une controverse au barreau de savoir si l’on doit condamner le contumax quand le crime n’est pas prouvé ; et la loi ne résout pas la difficulté.


EXEMPLE TIRÉ DE LA CONDAMNATION D’UNE FAMILLE ENTIÈRE.


Voici ce qui arriva à cette famille infortunée. Dans le temps que des confréries insensées de prétendus pénitents, le corps