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CRITIQUE.


Ce Mahomet II, fils d’Amurat II, n’était point Arabe, mais Turc.

Il s’en fallait beaucoup qu’il fût le premier prince turc qui eût passé en Europe : Orcan, plus de cent ans avant lui, avait subjugué la Thrace, la Bulgarie, et une partie de la Grèce.

On voit que ce folliculaire parlait à tort et à travers des choses les plus aisées à savoir, et dont il ne savait rien. Cependant il insultait l’Académie, les plus honnêtes gens, les meilleurs ouvrages, avec une insolence égale à son absurdité ; mais son excuse était celle de Guyot-Desfontaines : Il faut que je vive. C’est aussi l’excuse de tous les malfaiteurs dont on fait justice.

On ne doit pas donner le nom de critiques à ces gens-là. Ce mot vient de krites, juge, estimateur, arbitre. Critique signifie bon juge. Il faut être un Quintilien pour oser juger les ouvrages d’autrui ; il faut du moins écrire comme Bayle écrivit sa République des Lettres ; il a eu quelques imitateurs, mais en petit nombre. Les journaux de Trévoux ont été décriés pour leur partialité poussée jusqu’au ridicule, et pour leur mauvais goût.

Quelquefois les journaux se négligent, ou le public s’en dégoûte par pure lassitude, ou les auteurs ne fournissent pas des matières assez agréables ; alors les journaux, pour réveiller le public, ont recours à un peu de satire. C’est ce qui a fait dire à La Fontaine :

Tout faiseur de journal doit tribut au malin.

Mais il vaut mieux ne payer son tribut qu’à la raison et à l’équité.

Il y a d’autres critiques qui attendent qu’un bon ouvrage paraisse pour faire vite un livre contre lui. Plus le libelliste attaque un homme accrédité, plus il est sûr de gagner quelque argent ; il vit quelques mois de la réputation de son adversaire. Tel était un nommé Faydit, qui tantôt écrivait contre Bossuet, tantôt contre Tillemont, tantôt contre Fénelon ; tel a été un polisson qui s’intitule Pierre de Chiniac de La Bastide Duclaux[1] avocat au parlement. Cicéron avait trois noms comme lui. Puis viennent les critiques contre Pierre de Chiniac, puis les réponses de Pierre de Chiniac à ses critiques. Ces beaux livres sont accompagnés de brochures sans nombre, dans lesquelles les auteurs

  1. Voltaire a déjà parlé de Chiniac dans le chapitre xxviii du Pyrrhonisme de l’histoire (Mélanges, année 1768).