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CYRUS.

plus clairement dans le Dante. Cependant personne ne s’est avisé de prendre Sénèque et Alighieri Dante pour des devins[1].

Nous sommes bien loin d’être du sentiment de ces savants, nous nous bornons à être extrêmement circonspects sur les prophètes de nos jours.

Quant à l’histoire de Cyrus, il est vraiment fort difficile de savoir s’il mourut de sa belle mort, ou si Tomyris lui fit couper la tête. Mais je souhaite, je l’avoue, que les savants qui font couper le cou à Cyrus aient raison. Il n’est pas mal que ces illustres voleurs de grand chemin, qui vont pillant et ensanglantant la terre, soient un peu châtiés quelquefois.

Cyrus a toujours été destiné à devenir le sujet d’un roman. Xénophon a commencé, et malheureusement Ramsay a fini. Enfin, pour faire voir quel triste sort attend les héros, Danchet a fait une tragédie de Cyrus.

Cette tragédie est entièrement ignorée. La Cyropédie de Xénophon est plus connue, parce qu’elle est d’un Grec. Les Voyages de Cyrus le sont beaucoup moins, quoiqu’ils aient été imprimés en anglais et en français, et qu’on y ait prodigué l’érudition.

Le plaisant du roman intitulé Voyages de Cyrus consiste à trouver un Messie partout, à Memphis, à Babylone, à Ecbatane, à Tyr, comme à Jérusalem, et chez Platon, comme dans l’Évangile. L’auteur ayant été quaker, anabaptiste, anglican, presbytérien, était venu se faire féneloniste à Cambrai sous l’illustre auteur du Télémaque. Étant devenu depuis précepteur de l’enfant d’un grand seigneur, il se crut fait pour instruire l’univers et pour le gouverner ; il donne en conséquence des leçons à Cyrus pour devenir le meilleur roi de l’univers, et le théologien le plus orthodoxe.

Ces deux rares qualités paraissent assez incompatibles. Il le mène à l’école de Zoroastre, et ensuite à celle du jeune Juif Daniel, le plus grand philosophe qui ait jamais été : car non-seulement il expliquait tous les songes (ce qui est la fin de la science humaine), mais il devinait tous ceux qu’on avait faits ; et c’est à quoi nul autre que lui n’est encore parvenu. On s’attendait que Daniel présenterait la belle Suzanne au prince, c’était la marche naturelle du roman ; mais il n’en fit rien.

Cyrus, en récompense, a de longues conversations avec le grand roi Nabuchodonosor, dans le temps qu’il était bœuf ; et Ramsay fait ruminer Nabuchodonosor en théologien très-profond.

  1. Voyez Essai sur les Mœurs, chapitre cxli, tome XII, page 358.