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DICTIONNAIRE.

vendre son livre en six volumes, en a fait un libelle diffamatoire. Son héros est Carré de Montgeron, qui présenta au roi un recueil des miracles opérés par les convulsionnaires dans le cimetière de Saint-Médard ; et son héros était un sot qui est mort fou.

L’intérêt du public, de la littérature et de la raison, exigeait qu’on livrât à l’indignation publique ces libellistes à qui l’avidité d’un gain sordide pourrait susciter des imitateurs, d’autant plus que rien n’est si aisé que de copier des livres par ordre alphabétique, et d’y ajouter des platitudes, des calomnies et des injures.


Extrait des réflexions d’un académicien
SUR LE DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE.


J’aurais voulu rapporter l’étymologie naturelle et incontestable de chaque mot, comparer l’emploi, les diverses significations, l’énergie de ce mot avec l’emploi, les acceptions diverses, la force ou la faiblesse du terme qui répond à ce mot dans les langues étrangères ; enfin citer les meilleurs auteurs qui ont fait usage de ce mot, faire voir le plus ou moins d’étendue qu’ils lui ont donné, remarquer s’il est plus propre à la poésie qu’à la prose.

Par exemple, j’observais que l’inclémence des airs est ridicule dans une histoire, parce que ce terme d’inclémence a son origine dans la colère du ciel, qu’on suppose manifestée par l’intempérie, les dérangements, les rigueurs des saisons, la violence du froid, la corruption de l’air, les tempêtes, les orages, les vapeurs pestilentielles, etc. Ainsi donc inclémence, étant une métaphore, est consacrée à la poésie.

Je donnais au mot impuissance toutes les acceptions qu’il reçoit. Je faisais voir dans quelle faute est tombé un historien qui parle de l’impuissance du roi Alphonse, en n’exprimant pas si c’était celle de résister à son frère, ou celle dont sa femme l’accusait.

Je tâchais de faire voir que les épithètes irrésistible, incurable, exigeaient un grand ménagement. Le premier qui a dit l’impulsion irrésistible du génie a très-bien rencontré, parce qu’en effet il s’agissait d’un grand génie qui s’était livré à son talent, malgré tous les obstacles. Les imitateurs qui ont employé cette expression pour des hommes médiocres sont des plagiaires qui ne savent pas placer ce qu’ils dérobent.

Le mot incurable n’a été encore enchâssé dans un vers que par l’industrieux Racine :