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DIEU, DIEUX.

des mérites que n’avait pas Spinosa : souvent de la clarté, quelquefois de l’éloquence, quoiqu’on puisse lui reprocher de répéter, de déclamer, et de se contredire comme tous les autres. Pour le fond des choses, il faut s’en défier très-souvent en physique et en morale. Il s’agit ici de l’intérêt du genre humain. Examinons donc si sa doctrine est vraie et utile, et soyons courts si nous pouvons.

[1] « L’ordre et le désordre n’existent point, etc. »

Quoi ! en physique un enfant né aveugle, ou privé de ses jambes, un monstre n’est pas contraire à la nature de l’espèce ? N’est-ce pas la régularité ordinaire de la nature qui fait l’ordre, et l’irrégularité qui est le désordre ? N’est-ce pas un très-grand dérangement, un désordre funeste, qu’un enfant à qui la nature a donné la faim, et a bouché l’œsophage ? Les évacuations de toute espèce sont nécessaires, et souvent les conduits manquent d’orifices : on est obligé d’y remédier : ce désordre a sa cause, sans doute. Point d’effet sans cause ; mais c’est un effet très-désordonné.

L’assassinat de son ami, de son frère, n’est-il pas un désordre horrible en morale ? Les calomnies d’un Garasse, d’un Le Tellier, d’un Doucin, contre des jansénistes, et celles des jansénistes contre des jésuites ; les impostures des Patouillet et Paulian ne sont-elles pas de petits désordres ? La Saint-Barthélemy, les massacres d’Irlande, etc., etc., etc, ne sont-ils pas des désordres exécrables ? Ce crime a sa cause dans des passions ; mais l’effet est exécrable ; la cause est fatale ; ce désordre fait frémir. Reste à découvrir, si l’on peut, l’origine de ce désordre ; mais il existe.

[2] « L’expérience prouve que les matières que nous regardons comme inertes et mortes prennent de l’action, de l’intelligence, de la vie, quand elles sont combinées d’une certaine façon. »

C’est là précisément la difficulté. Comment un germe parvient-il à la vie ? l’auteur et le lecteur n’en savent rien. De là les deux volumes du Système ; et tous les systèmes du monde ne sont-ils pas des rêves ?

[3] « Il faudrait définir la vie, et c’est ce que j’estime impossible. »

Cette définition n’est-elle pas très-aisée, très-commune ? la vie n’est-elle pas organisation avec sentiment ? Mais que vous teniez ces deux propriétés du mouvement seul de la matière, c’est ce

  1. Première partie, page 60. (Note de Voltaire.)
  2. Page 69. (Note de Voltaire.)
  3. Page 78. (Id.)