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DIEU, DIEUX.


L’auteur prétend que la matière aveugle et sans choix produit des animaux intelligents. Produire sans intelligence des êtres qui en ont ! cela est-il concevable ? ce système est-il appuyé sur la moindre vraisemblance ? Une opinion si contradictoire exigerait des preuves aussi étonnantes qu’elle-même. L’auteur n’en donne aucune ; il ne prouve jamais rien, et il affirme tout ce qu’il avance. Quel chaos ! quelle confusion ! mais quelle témérité !

Spinosa du moins avouait une intelligence agissante dans ce grand tout qui constituait la nature ; il y avait là de la philosophie. Mais je suis forcé de dire que je n’en trouve aucune dans le nouveau système.

La matière est étendue, solide, gravitante, divisible ; j’ai tout cela aussi bien que cette pierre. Mais a-t-on jamais vu une pierre sentante et pensante ? Si je suis étendu, solide, divisible : je le dois à la matière. Mais j’ai sensations et pensées : à qui le dois-je ? ce n’est pas à de l’eau, à de la fange ; il est vraisemblable que c’est à quelque chose de plus puissant que moi. C’est à la combinaison seule des éléments, me dites-vous. Prouvez-le-moi donc ; faites-moi donc voir nettement qu’une cause intelligente ne peut m’avoir donné l’intelligence. Voilà où vous êtes réduit.

L’auteur combat avec succès le dieu des scolastiques, un dieu composé de qualités discordantes, un dieu auquel on donne, comme à ceux d’Homère, les passions des hommes ; un dieu capricieux, inconstant, vindicatif, inconséquent, absurde ; mais il ne peut combattre le Dieu des sages. Les sages, en contemplant la nature, admettent un pouvoir intelligent et suprême. Il est peut-être impossible à la raison humaine, destituée du secours divin, de faire un pas plus avant.

L’auteur demande où réside cet être ; et de ce que personne sans être infini ne peut dire où il réside, il conclut qu’il n’existe pas. Cela n’est pas philosophique : car de ce que nous ne pouvons dire où est la cause d’un effet, nous ne devons pas conclure qu’il n’y a point de cause. Si vous n’aviez jamais vu de canonniers, et que vous vissiez l’effet d’une batterie de canon, vous ne devriez pas dire : Elle agit toute seule par sa propre vertu.

Ne tient-il donc qu’à dire : Il n’y a point de Dieu, pour qu’on vous en croie sur votre parole ?

Enfin sa grande objection est dans les malheurs et dans les crimes du genre humain : objection aussi ancienne que philosophique ; objection commune, mais fatale et terrible, à laquelle on ne trouve de réponse que dans l’espérance d’une vie meilleure.