Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
DIOCLÉTIEN.

que l’empereur étant dans Antioche, le préteur condamna un petit enfant chrétien nommé Romain à être brûlé ; que des Juifs présents à ce supplice se mirent méchamment à rire, en disant : « Nous avons eu autrefois trois petits enfants, Sidrac, Misac et Abdenago, qui ne brûlèrent point dans la fournaise ardente, mais ceux-ci y brûlent. » Dans l’instant, pour confondre les Juifs, une grande pluie éteignit le bûcher, et le petit garçon en sortit sain et sauf, en demandant : Où est donc le feu ? Les Actes sincères ajoutent que l’empereur le fit délivrer, mais que le juge ordonna qu’on lui coupât la langue. Il n’est guère possible de croire qu’un juge ait fait couper la langue à un petit garçon à qui l’empereur avait pardonné.

Ce qui suit est plus singulier. On prétend qu’un vieux médecin chrétien nommé Ariston, qui avait un bistouri tout prêt, coupa la langue de l’enfant pour faire sa cour au préteur. Le petit Romain fut aussitôt renvoyé en prison. Le geôlier lui demanda de ses nouvelles : l’enfant raconta fort au long comment un vieux médecin lui avait coupé la langue. Il faut noter que le petit, avant cette opération, était extrêmement bègue, mais qu’alors il parlait avec une volubilité merveilleuse. Le geôlier ne manqua pas d’aller raconter ce miracle à l’empereur. On fit venir le vieux médecin ; il jura que l’opération avait été faite dans les règles de l’art, et montra la langue de l’enfant qu’il avait conservée proprement dans une boîte comme une relique. « Qu’on fasse venir, dit-il, le premier venu, je m’en vais lui couper la langue en présence de Votre Majesté, et vous verrez s’il pourra parler. » La proposition fut acceptée. On prit un pauvre homme, à qui le médecin coupa juste autant de langue qu’il en avait coupé au petit enfant : l’homme mourut sur-le-champ.

Je veux croire que les Actes qui rapportent ce fait sont aussi sincères qu’ils en portent le titre ; mais ils sont encore plus simples que sincères, et il est bien étrange que Fleury, dans son Histoire ecclésiastique, rapporte un si prodigieux nombre de faits semblables, bien plus propres au scandale qu’à l’édification.

Vous remarquerez encore que dans cette année 303, où l’on prétend que Dioclétien était présent à toute cette belle aventure dans Antioche, il était à Rome, et qu’il passa toute l’année en Italie. On dit que ce fut à Rome, en sa présence, que saint Genest, comédien, se convertit sur le théâtre en jouant une comédie contre les chrétiens[1]. Cette comédie montre bien que le goût de

  1. Voltaire reparle avec détail de la conversion de saint Genest dans le chapitre xiv de son Histoire de l’établissement du christianisme. Voyez Mélanges, année 1777.