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DE DIODORE, ET D’HÉRODOTE.

son fils naquit, de lui faire conquérir toute la terre dès qu’il serait majeur. C’est un beau projet. Pour cet effet, il fit élever auprès de lui tous les garçons qui étaient nés le même jour en Égypte ; et pour en faire des conquérants, on ne leur donnait à déjeuner qu’après leur avoir fait courir cent quatre-vingts stades, qui font environ huit de nos grandes lieues.

Quand Sésostris fut majeur, il partit avec ses coureurs pour aller conquérir le monde. Ils étaient encore au nombre de dix-sept cents, et probablement la moitié était morte, selon le train ordinaire de la nature, et surtout de la nature de l’Égypte, qui de tout temps fut désolée par une peste destructive, au moins une fois en dix ans.

Il fallait donc qu’il fut né trois mille quatre cents garçons en Égypte le même jour que Sésostris ; et comme la nature produit presque autant de filles que de garçons, il naquit ce jour-là environ six mille personnes au moins. Mais on accouche tous les jours, et six mille naissances par jour produisent au bout de l’année deux millions cent quatre-vingt-dix mille enfants. Si vous les multipliez par trente-quatre, selon la règle de Kerseboum, vous aurez en Égypte plus de soixante et quatorze millions d’habitants, dans un pays qui n’est pas si grand que l’Espagne ou que la France.

Tout cela parut énorme à l’abbé Bazin, qui avait un peu vu le monde, et qui savait comme il va.

Mais un Larcher, qui n’était jamais sorti du collége Mazarin, prit violemment le parti de Sésostris et de ses coureurs. Il prétendit qu’Hérodote, en parlant aux Grecs, ne comptait point par stades de la Grèce, et que les héros de Sésostris ne couraient que quatre grandes lieues pour avoir à déjeuner. Il accabla ce pauvre abbé Bazin d’injures, telles que jamais savant en us ou en es n’en avait pas encore dit. Il ne s’en tint pas même aux dix-sept cents petits garçons ; il alla jusqu’à prouver, par les prophètes, que les femmes, les filles, les nièces des rois de Babylone, toutes les femmes des satrapes et des mages, allaient par dévotion coucher dans les allées du temple de Babylone pour de l’argent, avec tous les chameliers et tous les muletiers de l’Asie. Il traita de mauvais chrétien, de damné et d’ennemi de l’État, quiconque osait défendre l’honneur des dames de Babylone[1].

Il prit aussi le parti des boucs qui avaient communément les faveurs des jeunes Égyptiennes. Sa grande raison, disait-il, c’est qu’il était allié par les femmes à un parent de l’évêque de Meaux,

  1. Voyez la Défense de mon oncle, chapitre ii (Mélanges, année 1767).