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DROIT.

de théologie que le pape doit être souverain du monde, attendu qu’il est écrit que Simon, fils de Jone en Galilée, ayant surnom Pierre, on lui dit[1] : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon assemblée. » On avait beau dire à Grégoire VII : « Il ne s’agit que des âmes, il n’est question que du royaume céleste. — Maudit damné, répondait-il, il s’agit du terrestre ; » et il vous damnait, et il vous faisait pendre s’il pouvait.

Des esprits encore plus profonds fortifient cette raison par un argument sans réplique : celui dont l’évêque de Rome se dit vicaire a déclaré que son royaume n’est point de ce monde[2] ; donc ce monde doit appartenir au vicaire quand le maître y a renoncé. Qui doit l’emporter du genre humain ou des décrétales ? Les décrétales, sans difficulté.

On demande ensuite s’il y a eu quelque justice à massacrer en Amérique dix ou douze millions d’hommes désarmés ? on répond qu’il n’y a rien de plus juste et de plus saint, puisqu’ils n’étaient pas catholiques, apostoliques et romains.

Il n’y a pas un siècle qu’il était toujours ordonné, dans toutes les déclarations de guerre des princes chrétiens, de courre sus à tous les sujets du prince à qui la guerre était signifiée par un héraut à cotte de mailles et à manches pendantes. Ainsi, la signification une fois faite, si un Auvergnat rencontrait une Allemande, il était tenu de la tuer, sauf à la violer avant ou après.

Voici une question fort épineuse dans les écoles : le ban et l’arrière-ban étant commandés pour aller tuer et se faire tuer sur la frontière, les Souabes étant persuadés que la guerre ordonnée était de la plus horrible injustice, devaient-ils marcher ? Quelques docteurs disaient oui ; quelques justes disaient non : que disaient les politiques ?

Quand on eut bien disputé sur ces grandes questions préliminaires, dont jamais aucun souverain ne s’est embarrassé ni ne s’embarrassera, il fallut discuter les droits respectifs de cinquante ou soixante familles sur le comté d’Alost, sur la ville d’Orchies, sur le duché de Berg et de Juliers, sur le comté de Tournai, sur celui de Nice, sur toutes les frontières de toutes les provinces ; et le plus faible perdit toujours sa cause.

On agita pendant cent ans si les ducs d’Orléans, Louis XII, François Ier, avaient droit au duché de Milan en vertu du contrat de mariage de Valentine de Milan, petite-fille du bâtard d’un

  1. Saint Matthieu, xvi, 18.
  2. Saint Jean, xviii, 36.