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ÉCONOMIE.

Si les autres pays parviennent à n’avoir pas besoin de ses blés et à tourner contre elle la balance du commerce, il peut arriver alors un très-grand bouleversement dans les fortunes des particuliers ; mais la terre reste, l’industrie reste, et l’Angleterre, alors moins riche en argent, l’est toujours en valeurs renaissantes que le sol produit : elle revient au même état où elle était au XVIe siècle.

Il en est absolument de tout un royaume comme d’une terre d’un particulier : si le fonds de la terre est bon, elle ne sera jamais ruinée ; la famille qui la faisait valoir peut être réduite à l’aumône, mais le sol prospérera sous une autre famille.

Il y a d’autres royaumes qui ne seront jamais riches, quelque effort qu’ils fassent : ce sont ceux qui, situés sous un ciel rigoureux, ne peuvent avoir tout au plus que l’exact nécessaire. Les citoyens n’y peuvent jouir des commodités de la vie qu’en les faisant venir de l’étranger à un prix qui est excessif pour eux. Donnez à la Sibérie et au Kamtschatka réunis[1], qui font quatre fois l’étendue de l’Allemagne, un Cyrus pour souverain, un Solon pour législateur, un duc de Sully, un Colbert pour surintendant des finances, un duc de Choiseul pour ministre de la guerre et de la paix, un Anson pour amiral, ils y mourront de faim avec tout leur génie.

Au contraire, faites gouverner la France par un fou sérieux tel que Lass, par un fou plaisant tel que le cardinal Dubois, par des ministres tels que nous en avons vu quelquefois, on pourra dire d’eux ce qu’un sénateur de Venise disait de ses confrères au roi Louis XII, à ce que prétendent les raconteurs d’anecdotes. Louis XII en colère menaçait de ruiner la république : « Je vous en défie, dit le sénateur ; la chose me paraît impossible : il y a vingt ans que mes confrères font tous les efforts imaginables pour la détruire, et ils n’en ont pu venir à bout. » Il n’y eut jamais rien de plus extravagant sans doute que de créer une compagnie imaginaire du Mississipi, qui devait rendre

  1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Catherine II, du 6-17 octobre 1771.