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ÉGLISE.

avaient été la cause d’une guerre affreuse pour un surplis, des manches de linon et une liturgie ; il ne voulut ni liturgie, ni linon, ni surplis : les apôtres n’en avaient point. Jésus-Christ n’avait baptisé personne ; les associés de Penn ne voulurent point être baptisés.

Les premiers fidèles étaient égaux : ces nouveaux venus prétendirent l’être autant qu’il est possible. Les premiers disciples reçurent l’esprit et parlaient dans l’assemblée ; ils n’avaient ni autels, ni temples, ni ornements, ni cierges, ni encens, ni cérémonies : Penn et les siens se flattèrent de recevoir l’esprit, et renoncèrent à toute cérémonie, à tout appareil. La charité était précieuse aux disciples du Sauveur : ceux de Penn firent une bourse commune pour secourir les pauvres. Ainsi ces imitateurs des esséniens et des premiers chrétiens, quoique errant dans les dogmes et dans les rites, étaient pour toutes les autres sociétés chrétiennes un modèle étonnant de morale et de police.

Enfin cet homme singulier alla s’établir avec cinq cents des siens dans le canton alors le plus sauvage de l’Amérique. La reine Christine de Suède avait voulu y fonder une colonie qui n’avait pas réussi ; les primitifs de Penn eurent plus de succès.

C’était sur les bords de la rivière Delaware, vers le quarantième degré. Cette contrée n’appartenait au roi d’Angleterre que parce qu’elle n’était réclamée alors par personne, et que les peuples nommés par nous sauvages, qui auraient pu la cultiver, avaient toujours demeuré assez loin dans l’épaisseur des forêts. Si l’Angleterre n’avait eu ce pays que par droit de conquête, Penn et ses primitifs auraient eu en horreur un tel asile. Ils ne regardaient ce prétendu droit de conquête que comme une violation du droit de la nature et comme une rapine.

Le roi Charles II déclara Penn souverain de tout ce pays désert, par l’acte le plus authentique, du 4 mars 1681. Penn, dès l’année suivante, y promulgua ses lois. La première fut la liberté civile entière, de sorte que chaque colon possédant cinquante acres de terre était membre de la législation ; la seconde, une défense expresse aux avocats et aux procureurs de prendre jamais d’argent ; la troisième, l’admission de toutes les religions, et la permission même à chaque habitant d’adorer Dieu dans sa maison, sans assister jamais à aucun culte public.

Voici cette loi telle qu’elle est portée :

« La liberté de conscience étant un droit que tous les hommes ont reçu de la nature avec l’existence, et que tous les gens paisibles doivent maintenir, il est fermement établi que personne ne sera forcé d’assister à aucun exercice public de religion.