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ÉPIGRAMME.

Sans le printemps et l’été qui font le saut par la fenêtre, cette épigramme serait digne de Callimaque.

Je n’oserais en dire autant de ce rondeau, que tant de gens de lettres ont si souvent répété :

Au bon vieux temps un train d’amour régnoit
Qui sans grand art et dons se démenoit,
Si qu’un bouquet donné d’amour profonde
C’était donner toute la terre ronde,
Car seulement au cœur on se prenoit ;
Et si par cas à jouir on venoit,
Savez-vous bien comme on s’entretenoit ?
Vingt ans, trente ans ; cela duroit un monde
Au bon vieux temps.

Or est perdu ce qu’amour ordonnoit[1],
Rien que pleurs feints, rien que changes on n’oit.
Qui voudra donc qu’à aimer je me fonde,
Il faut premier que l’amour on refonde,
Et qu’on la mène ainsi qu’on la menoit
Au bon vieux temps[2].

Je dirais d’abord que peut-être ces rondeaux, dont le mérite est de répéter à la fin de deux couplets les mots qui commencent ce petit poëme, sont une invention gothique et puérile, et que les Grecs et les Romains n’ont jamais avili la dignité de leurs langues harmonieuses par ces niaiseries difficiles.

Ensuite je demanderais ce que c’est qu’un train d’amour qui règne, un train qui se démène sans dons. Je pourrais demander si venir à jouir par cas sont des expressions délicates et agréables ; si s’entretenir et se fonder à aimer ne tiennent pas un peu de la barbarie du temps, que Marot adoucit dans quelques-unes de ses petites poésies.

Je penserais que refondre l’amour est une image bien peu convenable ; que si on le refond on ne le mène pas ; et je dirais enfin que les femmes pouvaient répliquer à Marot : Que ne le refonds-tu toi-même ? quel gré te saura-t-on d’un amour tendre et constant, quand il n’y aura point d’autre amour ?

  1. Il est évident qu’alors on prononçait tous les oi rudement, prenoit, démenoit, ordonnoit, et non pas ordonnait, démenait, prenait, puisque ces terminaisons rimaient avec oit. Il est évident encore qu’on se permettait les bâillements, les hiatus. (Note de Voltaire.)
  2. Marot, rondeau lxiv.