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ÉPOPÉE.

hommes de goût en conviennent : il n’y a qu’un commentateur qui puisse être assez aveugle pour ne les pas voir. Pope lui-même, traducteur du poëte grec, dit que « c’est une vaste campagne, mais brute, où l’on rencontre des beautés naturelles de toute espèce, qui ne se présentent pas aussi régulièrement que dans un jardin régulier ; que c’est une abondante pépinière qui contient les semences de tous les fruits, un grand arbre qui pousse des branches superflues qu’il faut couper ».

Mme Dacier prend le parti de la vaste campagne, de la pépinière et de l’arbre, et veut qu’on ne coupe rien. C’était sans doute une femme au-dessus de son sexe, et qui a rendu de grands services aux lettres, ainsi que son mari ; mais quand elle se fit homme, elle se fit commentateur ; elle outra tant ce rôle qu’elle donna envie de trouver Homère mauvais. Elle s’opiniâtra au point d’avoir tort avec M. de Lamotte même. Elle écrivit contre lui en régent de collége, et Lamotte répondit comme aurait fait une femme polie et de beaucoup d’esprit. Il traduisit très-mal l’Iliade, mais il l’attaqua fort bien.

Nous ne parlerons pas ici de l’Odyssée ; nous en dirons quelque chose quand nous serons à l’Arioste.


DE VIRGILE.


Il me semble que le second livre de l’Énéide, le quatrième et le sixième, sont autant au-dessus de tous les poëtes grecs et de tous les latins, sans exception, que les statues de Girardon sont supérieures à toutes celles qu’on fit en France avant lui.

On a souvent dit que Virgile a emprunté beaucoup de traits d’Homère, et que même il lui est inférieur dans ses imitations ; mais il ne l’a point imité dans ces trois chants dont je parle. C’est là qu’il est lui-même ; c’est là qu’il est touchant et qu’il parle au cœur. Peut-être n’était-il point fait pour le détail terrible mais fatigant des combats. Horace avait dit de lui, avant qu’il eût entrepris l’Énéide :

. . . . . . . . . . . . Molle atque facetum
Virgilio annuerunt gaudentes rure camœnœ.

(Hor., lib. I, sat. x, vers 44.)

Facetum ne signifie pas ici facétieux, mais agréable. Je ne sais si on ne retrouve pas un peu de cette mollesse heureuse et attendrissante dans la passion fatale de Didon. Je crois du moins y