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CALEBASSE

excommunication injuste ne doit pas nous empêcher de faire notre devoir. »

Les partisans des jésuites étaient alarmés eux-mêmes de cette censure ; mais ils n’osaient parler. Les hommes sages et désintéressés criaient au scandale, et le reste de la nation au ridicule.

Le Tellier n’en triompha pas moins jusqu’à la mort de Louis XIV ; il était en horreur, mais il gouvernait. Il n’est rien que ce malheureux ne tentât pour faire déposer le cardinal de Noailles ; mais ce boute-feu fut exilé après la mort de son pénitent. Le duc d’Orléans, dans sa régence, apaisa ces querelles en s’en moquant. Elles jetèrent depuis quelques étincelles ; mais enfin elles sont oubliées, et probablement pour jamais. C’est bien assez qu’elles aient duré plus d’un demi-siècle. Heureux encore les hommes s’ils n’étaient divisés que pour des sottises qui ne font point verser le sang humain !


C.
CALEBASSE[1].


Ce fruit, gros comme nos citrouilles, croît en Amérique aux branches d’un arbre aussi haut que les plus grands chênes.

Ainsi Matthieu Garo[2], qui croit avoir eu tort en Europe de trouver mauvais que les citrouilles rampent à terre, et ne soient pas pendues au haut des arbres, aurait eu raison au Mexique. Il aurait eu encore raison dans l’Inde, où les cocos sont fort élevés. Cela prouve qu’il ne faut jamais se hâter de conclure. Dieu fait bien ce qu’il fait, sans doute ; mais il n’a pas mis les citrouilles à terre dans nos climats de peur qu’en tombant de haut elles n’écrasent le nez de Matthieu Garo[3].

La calebasse ne servira ici qu’à faire voir qu’il faut se défier de l’idée que tout a été fait pour l’homme. Il y a des gens qui prétendent que le gazon n’est vert que pour réjouir la vue. Les apparences pourtant seraient que l’herbe est plutôt faite pour les

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. Voyez la fable de Matthieu Garo, dans La Fontaine, livre IX, fable v, le Gland et la Citrouille. (Note de Voltaire.)
  3. Voltaire a parlé de Matthieu Garo dans le sixième des Discours en vers sur l’homme.