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CATÉCHISME CHINOIS.

poussent sans cesse ; mais Dieu n’a pas été réduit à cette pitoyable ressource : en un mot, pourquoi mettre deux ressorts à un ouvrage lorsqu’un seul suffit ? Vous n’oserez pas nier que Dieu ait le pouvoir d’animer l’être peu connu que nous appelons matière ; pourquoi donc se servirait-il d’un autre agent pour l’animer ?

Il y a bien plus : ce serait cette âme que vous donnez si libéralement à notre corps ? d’où viendrait-elle ? quand viendrait-elle ? faudrait-il que le Créateur de l’univers fût continuellement à l’affût de l’accouplement des hommes et des femmes, qu’il remarquât attentivement le moment où un germe sort du corps d’un homme et entre dans le corps d’une femme, et qu’alors il envoyât vite une âme dans ce germe ? et si ce germe meurt, que deviendra cette âme ? elle aura donc été créée inutilement, ou elle attendra une autre occasion.

Voilà, je vous l’avoue, une étrange occupation pour le maître du monde ; et non-seulement il faut qu’il prenne garde continuellement à la copulation de l’espèce humaine, mais il faut qu’il en fasse autant avec tous les animaux : car ils ont tous comme nous de la mémoire, des idées, des passions ; et si une âme est nécessaire pour former ces sentiments, cette mémoire, ces idées, ces passions, il faut que Dieu travaille perpétuellement à forger des âmes pour les éléphants, et pour les porcs, pour les hiboux, pour les poissons et pour les bonzes.

Quelle idée me donneriez-vous de l’architecte de tant de millions de mondes, qui serait obligé de faire continuellement des chevilles invisibles pour perpétuer son ouvrage ?

Voilà une très-petite partie des raisons qui peuvent me faire douter de l’existence de l’âme.

CU-SU.

Vous raisonnez de bonne foi ; et ce sentiment vertueux, quand même il serait erroné, serait agréable à l’Être suprême. Vous pouvez vous tromper, mais vous ne cherchez pas à vous tromper, et dès lors vous êtes excusable. Mais songez que vous ne m’avez proposé que des doutes, et que ces doutes sont tristes. Admettez des vraisemblances plus consolantes : il est dur d’être anéanti ; espérez de vivre. Vous savez qu’une pensée n’est point matière, vous savez qu’elle n’a nul rapport avec la matière ; pourquoi donc vous serait-il si difficile de croire que Dieu a mis dans vous un principe divin qui, ne pouvant être dissous, ne peut être sujet à la mort ? Oseriez-vous dire qu’il est impossible que vous ayez une âme ? non, sans doute : et si cela est possible, n’est-il pas très-